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— Je n’en doute pas, répondit M. Jarndyce ; mais veux-tu monter un instant dans ta chambre ?

— Sur mon âme, Jarndyce, reprit notre hôte en consultant sa montre, si tu avais été marié, j’aurais tourné bride à la porte du jardin et me serais enfui jusqu’au sommet de l’Himalaya plutôt que de me présenter à une heure aussi indue.

— Pas tout à fait aussi loin, dit mon tuteur en souriant.

— Sur ma vie, je l’aurais fait, s’écria M. Boythorn ; je ne voudrais pas pour rien au monde avoir eu la coupable insolence de faire attendre une maîtresse de maison jusqu’à l’heure où nous sommes ; j’aimerais mieux me tuer, mais infiniment mieux. »

Il monta l’escalier avec M. Jarndyce, et nous l’entendîmes faire retentir sa chambre de sa voix et de ses rires, dont l’écho le plus éloigné répétait le son joyeux, ainsi que bientôt nous le fîmes nous-mêmes, entraînés par cette gaieté contagieuse.

Il y avait quelque chose de si franc et de si loyal dans sa voix forte et vibrante, dans sa verve furieuse, et ses superlatifs qui éclataient comme des canons chargés à poudre sans jamais blesser personne, que nous fûmes tout d’abord prévenus en sa faveur, impression dans laquelle son aspect nous confirma bientôt lorsque M. Jarndyce vint à nous le présenter. Non-seulement c’était un beau vieillard, droit et vigoureux, avec une tête massive, couronnée de cheveux gris, la physionomie intelligente et noble quand il gardait le silence, une grande taille, une stature qui eût semblé trop forte s’il n’eût pas toujours été en mouvement, et un menton qui se serait peut-être doublé s’il ne s’était sans cesse agité avec ardeur ; mais encore M. Boythorn avait les manières d’un si parfait gentleman ; sa politesse avait quelque chose de si chevaleresque ; son visage s’éclairait parfois d’un sourire si affectueux et si doux ; on voyait si bien qu’il se montrait tout entier, n’ayant rien à cacher, incapable, comme disait Richard, de se restreindre en quoi que ce soit, et déchargeant ses gros canons inoffensifs, parce qu’il n’avait pas d’autres armes, que je le regardais à table avec un égal plaisir, soit qu’il causât en souriant avec Éva et moi, soit qu’il fût poussé par M. Jarndyce à quelque volée de superlatifs, ou bien que, relevant la tête comme un limier, il fît trembler les vitres de ses éclats de rire.

«  J’espère que tu as apporté ton oiseau ? lui demanda mon tuteur.

— Ma foi, répondit-il, c’est bien le plus étonnant de tous les oiseaux d’Europe, la plus merveilleuse de toutes les créatures ; je ne le donnerais pas, même pour dix mille guinées. J’ai constitué