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une fois dans sa vie, rien qu’une fois ; nous ne devions plus nous rencontrer, disait-elle ; nous ne devions plus avoir de rapports ensemble, même indirectement ; elle me remit une lettre qu’elle avait écrite pour moi seule et qu’elle me priait de détruire aussitôt que j’en aurais pris connaissance, moins pour l’amour d’elle, que je devais désormais considérer comme morte, que par respect pour son mari et pour moi-même ; elle avait écrit ces lignes afin que je pusse avoir pitié d’elle, sachant tout ce qu’elle avait souffert ; et c’était la seule chose qu’elle désirât avant de mourir. Elle n’avait plus d’espoir sur la terre ; seule et dans l’ombre, elle combattrait jusqu’au bout pour défendre son secret ; mais nulle affection ne devait approcher d’elle, car personne ici-bas ne pouvait lui prêter assistance.

«  Le secret vous est-il au moins assuré ? lui demandai-je.

— Non, répondit-elle ; on a été dernièrement sur le point de le découvrir, un accident m’a sauvée ; je puis être perdue par un autre, demain, ce soir peut-être.

— Auriez-vous un ennemi ?

— Pas précisément ; c’est un homme trop froid pour aimer ou haïr : le procureur de sir Leicester ; fidèle sans attachement et jaloux du bénéfice et des privilèges que lui donne la possession des secrets de toute l’aristocratie.

— A-t-il quelque soupçon ?

— Beaucoup.

— Mais pas à votre égard ? repris-je tout alarmée.

— Si ! vigilant et rusé, il m’observe sans cesse ; je puis bien le tenir à distance, mais non pas me délivrer de sa personne.

— Est-il donc sans pitié ou sans honte ?

— Comme il est sans colère ; d’une indifférence que rien ne saurait troubler, il marche vers le but qui l’attire sans rencontrer d’obstacle.

— Ne pourriez-vous pas provoquer sa confiance ?

— Je ne l’essayerai jamais ; la voie sombre où je marche depuis tant d’années me conduira je ne sais où ; mais j’irai seule jusqu’à la fin.

— Chère mère, est-ce là votre dernière résolution ?

— Oui, ma résolution bien arrêtée. J’ai longtemps entassé folie sur folie, orgueil sur orgueil, mépris sur mépris, insolence sur insolence ; je dominerai le péril, et, si je le peux, j’emporterai mon secret dans la tombe ; le danger me presse de toutes parts ; mais je n’en suivrai pas moins la route que j’ai toujours suivie ; je n’en ai qu’une et je ne puis en vouloir d’autre.