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mon voile, s’enveloppa d’un grand châle qu’elle attacha soigneusement, et se déguisa en petite vieille, exprimait assez que j’avais prévenu ses désirs. Nous sortîmes toutes les deux sans rien dire à personne.

Il faisait nuit ; le temps était froid et les arbres frissonnaient sous la bise ; la pluie, qui tombait à torrents depuis plusieurs jours, venait de cesser ; le vent avait chassé les nuages au-dessus de nos têtes ; mais le ciel était sombre, malgré les étoiles qui commençaient à briller ; au couchant, une lueur mourante donnait à l’horizon quelque chose de sinistre, et sur ce fond livide se détachait une ligne de nuées épaisses, qui ressemblaient à une mer frappée d’immobilité au milieu de la tempête ; une teinte rougeâtre flamboyait du côté de Londres ; et cette lumière sanglante, qui ne semblait pas appartenir à la terre, suspendue, entre d’immenses ténèbres, au-dessus de la Cité qu’on ne voyait pas, et de ses habitants sans nombre, formait, avec le pâle reflet du ciel, un contraste d’une grandeur effrayante.

Je ne savais pas assurément ce qui allait m’advenir ; mais je me suis toujours rappelé que quand je m’arrêtai à la porte du jardin pour regarder l’état du ciel, j’éprouvai un sentiment indéfinissable, et je me vis moi-même sous un aspect tout différent de celui que j’avais alors. Cette impression étrange est restée dans mon esprit, associée avec l’endroit et l’heure où je la ressentis si vivement ; avec les rumeurs lointaines de la ville, les aboiements d’un chien, et le bruit d’une voiture qui descendait la colline.

C’était un samedi soir ; la plupart des habitants du hameau vers lequel nous nous dirigions étaient au cabaret : nous trouvâmes leurs masures plus tranquilles, mais tout aussi misérables qu’à ma première visite ; les fours étaient allumés et répandaient autour de nous leur vapeur étouffante et leur lumière bleuâtre.

Arrivées au cottage où la lueur d’une chandelle se distinguait à travers les vitres rapiécées, nous entrâmes après avoir frappé à la porte. Un air épais, malsain et d’une odeur particulière, remplissait toute la pièce. La mère du petit enfant que j’avais vu mourir dans cette chambre, était assise auprès d’un feu presque éteint ; en face d’elle, un jeune garçon tout en guenilles, accroupi sur le carreau, s’appuyait au coin de la cheminée ; il portait sous son bras les fragments d’une casquette de fourrure, et tâchait de se réchauffer, car il tremblait au point d’en ébranler la fenêtre et la porte disjointes.

En entrant, j’avais adressé la parole à Jenny, sans écarter mon voile ; au son de ma voix, le malheureux s’était redressé