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«  Tuteur, répliquai-je, il y a si longtemps qu’elle ne m’a vue… et pourtant je sens bien qu’elle m’est aussi précieuse que la lumière.

— Je le sais, dame Durden, je le sais. »

La pression de sa main exprima tant d’affectueuse bonté, sa voix avait quelque chose de si consolant et de si doux, que je fus quelques minutes sans retrouver la parole.

«  Vous êtes fatiguée, me dit-il ; reposez-vous un peu.

— Je l’ai tenue si longtemps éloignée de moi, repris-je enfin, que je préférerais qu’elle ne me vît pas encore. Il vaudrait mieux qu’auparavant je fusse allée quelque part avec Charley, seulement pendant huit jours ; le changement d’air et la pensée de nous revoir ensuite, de nous retrouver tous ensemble, m’auraient bientôt rendu mes forces ; qu’en pensez-vous, tuteur ? »

C’était peut-être une faiblesse de ma part que de vouloir me familiariser un peu plus avec ma nouvelle figure avant de rencontrer les yeux de cette chère Éva ; mais c’est la vérité ; mon tuteur m’avait comprise, j’en étais sûre, et cela ne m’effrayait pas ; si c’était une faiblesse, je savais bien qu’il me la pardonnerait.

«  Enfant gâtée, répondit-il, on fera ce que vous voudrez, en dépit des larmes que votre inflexibilité va faire répandre. Et voyez, petite femme, comme on prévient vos moindres désirs ! je reçois une lettre de Boythorn qui, en vrai chevalier, quitte sa maison aujourd’hui même pour la mettre à votre disposition, et jure, par le ciel et par la terre, de la démolir jusqu’à la dernière brique, si vous ne consentez pas à vous y installer. »

Mon tuteur me remit en effet une lettre de son ami, qui débutait par ces mots :

«  Je jure, au cas où miss Summerson ne viendrait pas s’établir dans ma maison d’où je pars aujourd’hui à une heure de l’après-midi, etc., etc… » Suivaient les termes les plus féroces que serment ait jamais employés, et dont la violence nous fit bien rire, sans diminuer à nos yeux l’estime que méritait celui qui s’exprimait avec tant de chaleur d’âme. Il fut décidé que je lui écrirais le lendemain pour le remercier d’abord, et pour lui dire que j’acceptais son offre, d’autant plus agréable pour moi, que de tous les lieux auxquels j’avais pensé, Chesney-Wold était celui que je préférais.

«  Maintenant, chère petite ménagère, dit mon tuteur en regardant à sa montre, il va falloir que je vous quitte ; je me suis fixé, avant de venir, le temps que je devais passer avec vous,