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la femme de charge de Chesney-Wold ; la bonne dame sort du sanctuaire en faisant une antique révérence et ferme la porte sans bruit ; il est probable que l’avoué a pour elle une certaine considération, car le clerc quitte son banc pour la reconduire jusqu’à la porte de la salle. Mistress Rouncewell se retourne alors pour le remercier de cette attention et aperçoit les deux amis.

«  Pardon, monsieur, dit-elle ; mais ces gentlemen ne sont-ils pas dans l’armée ? »

Le clerc interroge du regard ces deux messieurs, et le maître d’armes étant fort occupé à consulter l’almanach qui est au-dessus de la cheminée, M. Bagnet prend sur lui de répondre :

«  Oui, madame, autrefois.

— Je le pensais, j’en étais sûre ; mon cœur a bondi en vous voyant ; ça ne manque jamais lorsque je rencontre des militaires ; soyez bénis, gentlemen ; vous voudrez bien m’excuser : j’avais un fils qui est parti comme soldat, un beau jeune homme, un si bon garçon ! quoi qu’en aient dit certaines gens qui cherchaient à lui nuire dans l’esprit de sa pauvre mère. Pardonnez-moi, monsieur, de vous avoir dérangé. Dieu vous bénisse, gentlemen !

— Dieu vous le rende, madame ! » répond M. Bagnet avec sincérité.

Il y a dans l’émotion de la vieille dame, dans sa voix, dans le tremblement dont tout son corps est agité, quelque chose de bien touchant ; mais M. Georges est tellement absorbé par l’almanach, qu’il n’en détourne les yeux qu’après le départ de mistress Rouncewell.

«  Georges, lui dit tout bas Lignum d’un ton de reproche, n’aie donc pas l’air si triste ; nous autres, vieux soldats, nous ne sommes pas des pleurnicheurs ; du courage, mon brave, du courage ! »

Le clerc étant allé dire à l’avoué que ces messieurs l’attendent toujours, et M. Tulkinghorn ayant répondu avec impatience : « Eh bien ! qu’ils entrent ! » les deux camarades sont introduits dans le cabinet où le procureur les attend, debout devant la cheminée.

«  Que me voulez-vous ? demande-t-il ; je vous ai dit, sergent, la dernière fois que je vous ai vu, de ne pas remettre les pieds chez moi. »

Le sergent, qui, depuis quelques minutes, se sent profondément troublé, répond qu’il a reçu la lettre que voici ; qu’il a été voir à ce propos M. Smallweed, et que M. Smallweed l’a envoyé chez M. Tulkinghorn.