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rimentés dans toutes les affaires smallweediennes de ce bas monde ; ils marchent gravement côte à côte, et M. Bagnet, remarquant l’air pensif de son ami, considère comme un devoir affectueux de faire allusion aux dernières paroles de mistress Bagnet.

«  Georges, dit-il, tu connais la vieille ; douce comme de la crème ; mais si l’on touche à son mari ou à ses enfants, elle s’emporte comme une soupe au lait.

— Ça lui fait honneur, Mat !

— Je ne le dis pas devant elle, parce qu’il faut maintenir la discipline, Georges ; mais la vieille ne peut rien faire qui ne soit à son honneur.

— Mat, elle vaut son pesant d’or !

— Sais-tu quel est son poids, Georges ? Eh bien ! je m’en vas te le dire : la vieille pèse cent soixante-quatorze livres ; prendrais-je à sa place le même poids de n’importe quel métal ? non ; car le métal de la vieille est autrement précieux que tous les métaux ensemble.

— Tu as raison, Mat.

— Quand elle m’a pris en mariage, elle s’est enrôlée, tête et cœur, pour le reste de ses jours ; et, fidèle à son drapeau, elle court aux armes si l’on touche du bout du doigt à son mari ou à ses enfants ; aussi, Georges, ne fais pas attention quand elle fait feu de toutes pièces ; vois-tu, c’est le devoir qui l’exige : affaire de loyauté.

— Que Dieu la récompense, Mat ; quant à moi, je n’en ai que plus haute opinion d’elle.

— C’est juste, dit M. Bagnet avec un profond enthousiasme, qui néanmoins ne lui fait rien perdre de sa rigidité ; place la vieille aussi haut que le rocher de Gibraltar, et ce sera encore trop bas pour servir de piédestal à son mérite. Seulement, je ne le dis pas devant elle, parce qu’il faut maintenir la discipline. »

Ces éloges les conduisent jusqu’à la maison de M. Smallweed ; la porte leur en est ouverte par l’éternelle Judy, qui, après les avoir examinés de la tête aux pieds avec un mépris venimeux, les quitte un instant pour aller consulter l’oracle sur leur admission, et revient ensuite leur dire qu’ils « peuvent entrer s’ils le veulent. » Les deux amis pénètrent dans le parloir : ils y trouvent M. Smallweed, les pieds dans le tiroir de son fauteuil, où il prend un bain de papiers, et mistress Smallweed cachée par un coussin, comme un oiseau qu’on met à l’ombre pour l’empêcher de chanter.