Page:Dickens - Bleak-House, tome 2.djvu/380

Cette page a été validée par deux contributeurs.

nante cachée parmi les arbres. On voit alors sir Leicester, courbé, impotent, presque aveugle, mais noble encore, monté sur un vieux cheval dont un homme robuste, qui chevauche à côté de lui, surveille attentivement la bride. Quand ils arrivent devant la porte du mausolée, le cheval de sir Leicester s’arrête de lui-même ; et le baronnet, découvrant ses cheveux blancs, reste immobile pendant quelques minutes avant de songer à s’éloigner.

La guerre existe toujours entre sir Dedlock et l’audacieux Boythorn, mais seulement par intervalles ; tantôt faisant rage et tantôt s’éteignant, comme la flamme inconstante d’un feu mal entretenu. On dit qu’à l’époque où sir Leicester vint habiter Chesney-Wold pour ne plus en sortir, M. Boythorn manifesta l’intention d’abandonner ses droits et d’accepter l’ultimatum du baronnet ; mais que sir Leicester, comprenant que c’était une concession à ses malheurs et à son état maladif, en avait été si profondément blessé, que M. Boythorn s’était trouvé dans la nécessité de commettre un flagrant délit pour rendre le calme à l’esprit de son voisin. Il continue donc ses effroyables menaces qu’il placarde lui-même (toujours avec son oiseau sur la tête), jurant d’aller assaillir le baronnet jusque dans le sanctuaire du foyer domestique, plutôt que de renoncer au droit de passage qu’il revendiquera jusqu’à la mort. Mais on dit tout bas que, plus il se montre féroce envers son vieil ennemi, plus il a pour lui de considération et de respect ; et que sir Leicester, dans sa dignité d’homme implacable, ne se doute pas de quels égards on entoure sa faiblesse. Il ne sait pas davantage que le sort des deux sœurs crée entre lui et son antagoniste un lien sympathique de commune souffrance. M. Boythorn le sait bien, lui, mais il n’est pas homme à le lui dire ; et la querelle continue à la satisfaction des deux parties.

La loge que l’on aperçoit du château, celle que regardait milady un jour où le comté de Lincoln se trouvait submergé et d’où elle voyait sortir l’enfant du garde, est maintenant occupée par Georges Rouncewell. Quelques armes, qui faisaient jadis partie du matériel de la galerie, sont appendues aux murailles ; et leur entretien constitue le plus grand plaisir d’un petit homme boiteux qu’on voit sans cesse à la porte de la sellerie, toujours occupé, toujours polissant un étrier, un mors, une gourmette, une bossette de harnais, tout ce qu’enfin on peut fourbir et nettoyer, car il ne vit que pour le polissage ; un petit homme ébouriffé, avarié, ressemblant quelque peu à un vieux chien mâtiné que toute sa vie on a repoussé à coups de pied, et qui répond au nom de Phil.