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récita, puis traduisit, pour notre intelligence, un passage du Mewlinwillinwodd, où il était question d’une montagne surmontée du soleil : c’était moi qui étais la splendide montagne, selon cette chère dame.

Tout cela était si gracieux, que j’en ressemblai d’autant plus à la montagne rougie par les premiers feux du jour. Après le déjeuner, je guettai le moment où mon tuteur se retrouva dans son cabinet (la pièce où nous avions passé, M. Woodcourt et moi, la soirée précédente) ; j’entre-bâillai la porte, il était seul ; et, m’excusant d’entrer avec mon trousseau de clefs, je m’approchai de la table où il répondait en ce moment à plusieurs lettres que le facteur venait de lui apporter.

« Dame Durden, me dit-il, vous avez besoin d’argent ?

— Non vraiment, tuteur ; j’en ai encore les mains pleines.

— Il n’y a jamais eu pareille petite femme pour l’ordre et l’économie, » répliqua M. Jarndyce. Il posa sa plume et s’étendit dans son fauteuil en me regardant. J’ai souvent parlé de sa figure rayonnante, mais je ne crois pas lui avoir jamais vu l’air si bon et si radieux. Il y avait sur son visage l’expression d’un bonheur si élevé, que je me dis en moi-même : « Il a fait ce matin quelque belle action. »

« Non, jamais, continua-t-il en souriant, jamais on ne trouvera semblable petite femme pour faire durer l’argent !

— Tuteur, lui dis-je, j’aurais besoin de vous parler. Avez-vous à me reprocher quelque négligence ?

— À vous, Esther ?

— Ai-je bien été ce que j’avais l’intention d’être, depuis… que je vous ai remis la réponse à votre lettre, tuteur ?

— Vous avez été tout ce que je pouvais désirer, mon enfant.

— Je suis bien heureuse de vous l’entendre dire. Vous m’avez demandé alors si c’était la maîtresse de Bleak-House qui apportait la lettre, et j’ai répondu : Oui. »

Mon tuteur avait passé son bras autour de ma taille, comme pour me protéger contre quelque chose, et me regardait toujours en souriant.

« Depuis lors, repris-je, vous ne m’avez parlé qu’une seule fois de Bleak-House. »

— Et pour vous dire qu’elle diminuait rapidement ; ce qui est bien vrai, mon Esther.

— Cher tuteur, je sais combien vous avez pris part à mes derniers chagrins et quels égards vous avez eus pour moi en cette occasion comme en toute circonstance. Mais comme il y a déjà longtemps que ce malheur est arrivé, et que c’est aujourd’hui