Page:Dickens - Bleak-House, tome 2.djvu/336

Cette page a été validée par deux contributeurs.

ble ? pour ma part, je me garde bien d’y faire même allusion. Vous êtes, sous tous les rapports, bien plus aimable que moi ; si donc, malgré mon imperfection relative, je ne parle jamais de ce qui est déplaisant, ne devez-vous pas à plus forte raison vous abstenir de le faire. »

Quoique je fusse très-embarrassée, je repris assez de courage pour lui dire que néanmoins je désirais entamer le sujet peu agréable qui m’amenait auprès de lui.

« Je croirais à une méprise, si la chose était possible de votre part, dit-il en riant avec grâce.

— Monsieur Skimpole, repris-je en levant les yeux sur lui, je vous ai souvent entendu dire que vous étiez complétement étranger aux affaires ?

— Relativement aux trois banquiers L., S., D., et à savoir qui des trois est l’associé junior, vous avez parfaitement raison ; je n’en ai pas la moindre idée.

— C’est pour cela que vous me pardonnerez la liberté que je prends aujourd’hui. Mais j’ai cru nécessaire de vous dire sérieusement que Richard est plus pauvre qu’il n’a jamais été.

— Moi aussi, chère miss, du moins à ce que l’on dit.

— Ses affaires sont extrêmement embarrassées.

— Absolument comme les miennes, dit-il encore d’un air joyeux.

— Éva en éprouve nécessairement une profonde inquiétude ; et, comme je pense que, dans sa situation, les visites augmentent sa tristesse et rendent les ennuis de Richard plus pénibles, j’ai cru devoir, comme je le disais tout à l’heure, prendre la liberté de vous dire… que… s’il était possible… vous feriez bien… »

Je ne savais comment aborder ce point délicat, lorsqu’il me saisit les deux mains et finit ma phrase en s’écriant du ton le plus enjoué :

« De n’y pas retourner ? Mais certainement ; soyez tranquille, miss Summerson. Quand je vais quelque part, c’est afin de m’amuser. Je ne vais jamais au-devant des ennuis ; ce sont eux qui viennent me trouver quand ils ont besoin de moi. Je suis né pour le plaisir ; et, entre nous, j’en ai eu fort peu la dernière fois que j’ai été voir Richard ; votre sagacité en a trouvé le motif. Nos jeunes amis, perdant cette poésie de la jeunesse qu’ils possédaient naguère à un si haut degré, commencent à se dire en me voyant : « Voilà un homme qui a besoin d’argent. » Ils ont raison ; je n’en ai jamais et il m’en faut toujours ; non pas pour moi, comprenez-le bien, mais parce que ces gens de commerce veulent absolument que je leur en donne ; et puis, nos