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« M. Carstone a fait là un bien triste mariage, » reprit-il en frottant l’une contre l’autre ses mains gantées de noir, comme s’il n’y avait pas eu pour son tact glacé de différence entre la peau de chevreau et la sienne.

Je lui demandai la permission de n’être pas du même avis.

« Ils s’aimaient depuis longtemps, continuai-je, et s’étaient promis de s’épouser à une époque où l’avenir était moins sombre, où Richard n’avait pas encore cédé à la malheureuse influence qui pèse maintenant sur lui.

— Très-bien, dit M. Vholes ; mais, regardant comme un devoir de poser nettement les faits, je persiste à dire, miss Summerson, que ce mariage est regrettable. Je dois non-seulement à la famille de M. Carstone de m’exprimer sans réserve ; mais cette franchise m’est encore et surtout commandée par le soin que je dois prendre de ma réputation, qui m’est précieuse comme à tout homme respectable ; précieuse à mes trois filles, dont je tiens à préparer l’avenir ; précieuse à mon vieux père, que j’ai le privilége de soutenir.

— Ce serait bien le plus heureux et le meilleur de tous les mariages, monsieur Vholes, si on pouvait persuader à Richard d’abandonner ce procès fatal.

— Cela peut être, miss Summerson, » répliqua l’avoué après avoir toussé, ou plutôt bâillé sans bruit derrière son gant et incliné la tête, comme s’il eût été de mon avis. « J’admets sans réserve que la jeune femme à qui M. Carstone a donné son nom d’une manière aussi inconsidérée (vous ne contesterez pas le fait et me passerez l’expression), d’une manière, dis-je, aussi inconsidérée, est une jeune femme de la plus haute distinction. Les affaires m’ont toujours empêché de voir le monde ; toutefois, je le connais assez pour me prononcer à cet égard et pour comprendre que mistress Carstone est extrêmement distinguée. Quant à la beauté, je ne pourrais en juger par moi-même ; je n’ai jamais fait nulle attention à ces choses-là depuis l’époque où je suis entré dans la carrière ; mais j’ose dire qu’à ce point de vue, cette jeune femme est également fort remarquable ; c’est du moins l’opinion des clercs de l’Inn, dont la compétence, en pareille matière, ne saurait être contestée. Pour en revenir aux intérêts de M. Carstone…

— Ses intérêts, monsieur Vholes !

— Pardon, mademoiselle, reprit l’avoué conservant toujours la même impassibilité. M. Carstone a certains droits en vertu d’un testament, contesté il est vrai, sur certains domaines dont ce procès est appelé à régler la possession. Je vous ai dit la première