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ver. J’ai un plan que je désire vous soumettre ; je songe à rester six mois à Londres, peut-être plus, peut-être moins : bref, à m’y établir pour quelque temps encore.

— Et que deviendra Bleak-House ?

— Ah ! chère fille, il faut que Bleak-House apprenne à se passer des autres et à se soigner toute seule. »

Je crus remarquer dans sa voix une certaine nuance de tristesse, mais le plus aimable sourire éclairait son visage.

« Bleak-House est trop loin d’Éva, reprit-il gaiement, et le cher ange a besoin de nous.

— Toujours le même, lui dis-je ; que vous êtes bon d’avoir songé à cela !

— Ne vantez pas ma vertu, je suis beaucoup moins désintéressé que vous ne le croyez, chère fille ; car enfin si vous êtes toujours en route, vous serez rarement près de moi. D’ailleurs, j’ai besoin de voir par moi-même où en est la pauvre enfant, comment elle va ; il me faut de ses nouvelles ; et non pas seulement des siennes mais encore de ce pauvre Richard.

— Avez-vous vu M. Woodcourt aujourd’hui, tuteur ?

— Je le vois tous les matins, dame Durden.

— Que dit-il de Richard ?

— Toujours la même chose ; il ne lui trouve aucune maladie, et pourtant il est inquiet.

— Pauvre Rick ! cher et malheureux ami ! quand s’éveillera-t-il de sa triste illusion.

— Je ne crois pas qu’il en prenne le chemin, répondit mon tuteur ; plus il souffre, plus il est exaspéré contre moi, parce que je représente à ses yeux la principale cause de ses douleurs.

— Quelle folie !

— Hélas ! y a-t-il autre chose dans ce malheureux procès ? folie à la base, au sommet, au cœur de l’affaire ; iniquité et folie depuis le commencement jusqu’à la fin, si jamais elle doit en avoir une. Comment ce pauvre Rick aurait-il fait pour y puiser du bon sens ? On ne cueille pas plus aujourd’hui qu’autrefois du raisin sur les chardons, et j’imagine que le grand chancelier et toute sa cour seraient plus surpris que personne s’ils trouvaient cette folle merveille chez un pauvre plaideur. Pour moi, je ne m’en étonnerais pas moins que de voir ces doctes gentlemen faire naître des roses de la poudre qu’ils sèment dans leur perruque. »

Il s’arrêta au moment où il allait regarder par la fenêtre de quel côté soufflait le vent ; et revint s’appuyer, au contraire, sur le dos de mon fauteuil.