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couvre bien sur la table de son boudoir la lettre qu’elle a écrite au baronnet ; mais sir Leicester a probablement reçu d’en haut la dernière missive qui doive lui être remise.

On le porte sur son lit ; on le frictionne, on l’évente ; les uns lui frappent dans les mains pendant que les autres lui mettent de la glace sur la tête ; on essaye de tous les moyens possibles pour le rappeler à la vie ; et le jour s’en va, la nuit est venue avant que ses yeux fixes aient eu conscience de la lumière qu’on fait passer devant lui. À la fin cependant un souffle bruyant s’échappe de ses lèvres, et bientôt il fait comprendre qu’il voit et qu’il entend.

Ce matin encore, c’était un beau gentleman à l’air digne, à la taille imposante ; légèrement empêché par la goutte, mais d’un port majestueux et d’un noble visage ; à présent c’est un vieillard à la face amaigrie, une ombre aux yeux caves. Sa voix était pleine et mélodieuse ; il avait depuis si longtemps la conviction de l’importance et du poids de ses paroles pour le genre humain tout entier, que chacune d’elles avait fini par résonner comme si elles avaient au fond signifié quelque chose ; et maintenant il bredouille tout bas des mots que personne ne peut saisir. À côté de lui est sa fidèle femme de charge ; c’est la première personne qu’il remarque, et il en témoigne un plaisir évident. Il essaye de parler, et ne pouvant se faire comprendre, il fait signe qu’on lui donne un crayon ; mistress Rouncewell a deviné sa pensée et lui apporte une ardoise.

Il réfléchit un instant et trace d’une main tremblante un nom presque illisible : « Chesney-Wold ? »

— Non, sir Leicester ; c’est à Londres que vous êtes, et je remercie Dieu de toute mon âme de m’avoir fait arriver juste au moment où vous aviez besoin de moi. Vous vous trouviez dans la bibliothèque lorsque vous êtes tombé malade ; mais ce ne sera rien, sir Leicester ; demain vous irez mieux ; tous les médecins sont d’accord là-dessus, répond la femme de charge, dont le visage est en pleurs. »

Sir Leicester regarde autour de la chambre avec attention, puis écrit un nom sur l’ardoise.

« Milady n’était pas à l’hôtel quand on vous a trouvé dans la bibliothèque de sir Leicester ; elle n’est pas rentrée et ne sait pas que vous êtes malade. »

Plus on essaye de le calmer, plus son agitation augmente ; il insiste, en le montrant du doigt, sur le mot milady, et comme on paraît ne pas le comprendre, il écrit de nouveau : « Milady, pour l’amour de Dieu, où est-elle ? »