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L’anxiété de la vieille femme de charge, le trouble extrême de ses manières font une vive impression sur miatress Bagnet qui les attribue à la douleur que la pauvre dame éprouve de la position de son fils ; et qui néanmoins s’étonne de l’entendre murmurer le nom de milady plusieurs fois en se tordant les mains.

L’aurore succède à la nuit et le brouillard à la bise ; la chaise de poste qui roule toujours, pareille à un fantôme que le matin, au lieu de faire évanouir, rend à la réalité, entre dans Londres et s’arrête ; nos voyageuses descendent : la vieille dame, plus agitée que jamais ; l’épouse du vieux soldat, calme et reposée, comme elle le serait d’ailleurs, si au lieu d’être à Londres, elle abordait, sans plus de bagages, au cap de Bonne-Espérance, à Hong-Kong ou à l’île de l’Ascension. Mais au moment de se mettre en marche pour se rendre à la prison où Georges est enfermé, miss Rouncewell a repris, avec sa robe couleur de lavande, une partie de la dignité qui ne l’abandonne jamais. Vous diriez un beau vase de porcelaine antique, grave, simple, majestueux, si ce n’est que, sous cette froide matière, il y a un cœur qui bat bien fort et qui soulève son fichu avec plus de violence qu’il n’a fait encore depuis le départ de son enfant prodigue.

Elles trouvent la porte de la cellule ouverte : le geôlier va sortir, et mistress Bagnet lui fait signe de ne pas les annoncer. Georges est occupé, il écrit ; la porte se ferme sans qu’il se retourne, il se croit seul et paraît absorbé dans une rêverie profonde ; sa mère le regarde sans faire un geste, sans dire un mot ; ses mains jointes révèlent seules l’émotion qu’elle éprouve ; mais que d’éloquence dans ces vieilles mains tremblantes, qui expriment tant de bonheur, de reconnaissance, de chagrin et d’espoir, tant d’amour pour ce fils préféré dont elle était fière, que les larmes ruissellent sur les joues de mistress Bagnet !

« Georges, mon enfant ! regarde-moi. »

Georges tressaille, se jette au cou de sa mère et s’agenouille devant elle ; est-ce le repentir de ses dernières fautes, ou bien se souvient-il d’autrefois ? mais ses mains se rapprochent comme celles d’un petit enfant qui prie, et les élevant vers sa mère, il incline la tête en pleurant.

« Mon Georges, mon Benjamin, toujours, toujours ! Où as-tu donc été depuis tant de mortelles années ? C’est un homme à présent, un bel homme. Comme il est fort ! C’est bien comme cela que je savais qu’il devait être si Dieu me l’avait laissé ! »

Mistress Bagnet se retourne contre le mur et s’essuie les yeux avec le manteau gris.