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maintenant en prison, et que c’est là que je vais le revoir ! » Et la vieille dame se courbe sous le poids de son affliction.

Mistress Bagnet, avec l’instinct des bons cœurs, laisse pleurer sa compagne pendant quelques moments, non pas sans essuyer ses propres yeux du revers de sa main brune ; puis, quand elle voit diminuer les larmes de la pauvre mère, elle recommence à babiller gaiement.

« Pour lors, reprend-elle, je dis à Georges, car il avait été ce soir-là fumer sa pipe dans la rue, ce qui me donna l’occasion de lui parler en allant le chercher pour le thé : « Qu’est-ce qui vous tourmente aujourd’hui ? Je vous ai vu dans bien des passes, à l’étranger comme ici, et jamais vous n’avez eu l’air d’un pareil pénitent. — En effet, mistress Bagnet, et ce n’est pas sans raison. Si je vais un jour en paradis, ce ne sera pas pour avoir été bon fils ; et une femme veuve encore ! » Il continua sur le même ton, et finit par me dire qu’il avait vu chez l’avoué une belle vieille femme qui lui avait rappelé sa mère ; puis il se mit à jaser tant et si bien, qu’il en vint à se trahir en me faisant le portrait de ce qu’elle était jadis ; et comme je lui demandai quel était le nom de cette vieille dame, il me répondit que c’était mistress Rouncewell, femme de charge depuis plus de cinquante ans au château de Chesney-Wold, dans le Lincolnshire ; il m’avait dit souvent qu’il était de ce pays-là ; et quand il fut parti, je dis à mon vieux Lignum : « Je parierais un billet de mille francs que Georges a vu sa mère. »

— Soyez bénie, chère âme, soyez bénie, répond mistress Rouncewell à mistress Bagnet qui lui a déjà raconté vingt fois la même histoire en quatre heures de temps.

— Ce n’est pas moi qu’il faut remercier, madame, non, non, non ; c’est vous qui êtes bonne de vous montrer si reconnaissante. Mais la première chose à faire, voyez-vous, c’est d’obtenir de Georges qu’il ne néglige aucune ressource pour faire valoir son droit, et reconnaître son innocence. La justice et la vérité ne suffisent pas, il faut encore qu’il ait pour lui la loi et les avocats, ajoute mistress Bagnet, persuadée que la loi et les avocats ont divorcé depuis longtemps et pour toujours avec la justice et la vérité.

— Il aura tout ce qu’il faut, ma bonne amie, soyez tranquille, je dépenserai jusqu’à mon dernier sou pour le lui procurer. Sir Leicester fera tout au monde pour le tirer d’embarras, milady, toute la famille… je parlerai s’il le faut ; d’ailleurs, je le demanderai pour moi, sa mère, qui ne l’ai pas vu depuis si longtemps, et qui le retrouve en prison. »