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chacun dans leur sombre équipage ! Quelle distance incommensurable entre la petite blessure qui, plongeant le premier dans son dernier sommeil, l’a fait placer dans ce corbillard pesamment cahoté sur le pavé des rues, et la tache de sang qui, tenant le second sans cesse éveillé, donne à son esprit une activité qu’exprime tout son être, depuis la plante des pieds jusqu’à la pointe des cheveux ! Mais qu’importe à tous les deux ce contraste ? ni l’un ni l’autre ne s’en inquiète guère.

Le cortège se met en marche, et M. Bucket, après s’être installé commodément, tire son mémorandum et prend un signalement détaillé de la voiture où il se trouve, au cas où ces détails pourraient un jour lui devenir nécessaires. Quand arrive l’instant qui lui paraît opportun, il sort doucement de l’équipage et se dirige vers l’hôtel de sir Dedlock, où il entre, comme chez lui, sans sonner ni frapper, car il a une clef de la porte avec la permission d’aller et de venir comme bon lui semble, et à toute heure, ce dont il use amplement.

« Encore une lettre pour vous, monsieur Bucket, » lui dit Mercure en lui remettant un billet arrivé par la poste quelques instants avant. Si le valet reste là dans l’intention de jeter un coup d’œil sur la lettre qu’il apporte, M. Bucket n’est pas homme à satisfaire son imprudente curiosité.

« Avez-vous une tabatière ? » lui dit l’officier de police en le regardant en face comme un point de vue à l’horizon, qu’il aurait eu plaisir à contempler tout à son aise. Malheureusement Mercure ne prend jamais de tabac.

« Pourriez-vous m’en procurer une prise, n’importe où ; et n’importe duquel ? je n’ai pas de préférence à cet égard, mais je vous serais bien obligé. »

Mercure revient un instant après avec une tabatière d’emprunt où M. Bucket puise largement, et dont il déclare le tabac d’une qualité parfaite ; une prise à une narine, une prise à l’autre ; après quoi il monte l’escalier en emportant son billet. Malgré la quantité de missives qu’il a reçues depuis la veille, M. Bucket écrit fort rarement, et cet excès de correspondance est en dehors de toutes ses habitudes ; il a vu dans sa vie tant de lettres compromettantes se produire au grand jour, qu’à ses yeux il faut être bien jeune pour se rendre l’auteur d’une pareille imprudence ; il ne répond même pas aux lignes qu’on lui adresse et décourage ainsi tous ceux qui seraient tentés de correspondre avec lui.

« Toujours la même écriture, dit-il en posant la lettre sur la table, et toujours ces deux mots. »