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«  N’était-ce pas Snagsby qui causait avec vous ? demande-t-il à son ami.

— Oui, et je voudrais que… c’était Snagsby, dit M. Weevle en n’achevant pas sa phrase.

— Qui vous parlait d’affaires, reprend M. Guppy.

— Non pas ; il se promenait par ici, et, m’ayant aperçu, il m’a souhaité le bonsoir.

— Je me suis bien douté que c’était lui ; et, comme j’aimais mieux qu’il ne me vît pas, j’ai attendu qu’il fût parti.

— Nous y voilà ! s’écrie le pauvre Tony en levant les yeux sur William ; toujours le même ! ténébreux et discret. Par saint Georges ! nous aurions fait un crime, que nous n’y mettrions pas plus de mystère. »

M. Guppy affecte de sourire, et, pour changer de conversation, promène un regard admirateur sur la galerie de beautés qui orne les murailles ; il termine cette inspection en s’arrêtant au portrait de lady Dedlock placé au-dessus de la cheminée ; portrait dans lequel milady est représentée sur une terrasse, avec un piédestal sur la terrasse, un vase sur le piédestal, un châle sur le vase, une énorme fourrure sur le châle, l’un de ses bras sur la fourrure et un bracelet à son bras.

«  C’est parlant ! dit-il après un instant de silence. — Tant mieux ! grogne Tony sans changer de position ; je pourrai au moins causer de temps en temps avec une personne comme il faut. »

Voyant alors que l’humeur insociable de son ami résiste à ses avances, William change de système, et, prenant un air sérieux :

«  Tony, dit-il, je peux faire la part de la tristesse et du découragement ; personne, peut-être, ne connaît mieux ces défaillances de l’esprit qu’un homme qui porte dans son cœur l’image profondément gravée d’une beauté insensible ; mais il y a des bornes quand on est en présence d’une personne qui ne vous a point offensé, et l’on doit savoir se retenir. Je vous le dis donc franchement, Tony, votre manière d’être envers moi n’est ni celle d’un hôte, ni celle d’un gentleman.

— Voilà des paroles bien vives, William Guppy ! répond gravement M. Weevle.

— Peut-être bien, monsieur ; mais si je m’exprime ainsi, c’est que je sens vivement. »

M. Weevle avoue qu’il a eu tort et prie M. Guppy de vouloir bien l’oublier ; toutefois, M. Guppy ne peut pas abandonner la position qu’il a su prendre, sans ajouter quelques reproches à celui qu’il vient de faire.