sans moi ; Richard n’était pas moins ému, et j’aurais été la plus faible des trois, si je ne m’étais sévèrement interdit de le paraître.
« Voilà une petite femme qui n’aime guère son mari, dis-je en riant ; allons, Richard, prenez-la, je vous en prie ; je reviendrai demain, après-demain, tous les jours ; ainsi donc je ne vous dis pas adieu ; à quoi bon, quand on doit se revoir le lendemain ? » Je retenais toujours ma chère fille dans mes bras, et, malgré mon intention de partir, mon cœur se brisait en songeant à la quitter. Je leur dis en plaisantant que j’attendais qu’ils m’encourageassent à revenir les voir ; que, sans cela, je n’étais pas sûre de pouvoir prendre cette liberté ; là-dessus, mignonne aimée releva la tête, sourit doucement au milieu de ses larmes, je pris son front entre mes mains, je l’embrassai une dernière fois et je m’échappai en riant. Mais comme je sanglotai quand je fus en bas de l’escalier ! Ma pauvre Éva me semblait perdue pour toujours ; et je ne pouvais pas me faire à l’idée de ne plus vivre avec elle. Après avoir pleuré longtemps, je finis par retrouver un peu de force, et, prenant une voiture, je revins à la maison. Mon tuteur était sorti pour aller savoir des nouvelles de ce pauvre garçon que j’avais recueilli à Saint-Alban, et qui se mourait chez M. Georges. Il me fit dire qu’il ne rentrerait pas pour dîner ; j’étais donc seule et je me remis à pleurer ; quel vide me laissait ma pauvre Éva ! Je repensais à la manière dont nous nous étions quittées, à la triste chambre qu’elle habitait maintenant, à la vie qu’elle allait mener, aux privations qui l’attendaient, et j’éprouvais un tel besoin de me retrouver auprès d’elle, que je résolus de sortir et d’aller me promener sous ses fenêtres. C’était une folie, je le confesse ; mais peu importe, je trouvai mon projet fort raisonnable alors ; aujourd’hui même je ne saurais m’en blâmer ; et, prenant Charley avec moi, je me dirigeai vers Symond’s Inn. Il faisait nuit quand nous arrivâmes à la nouvelle demeure d’Éva, et il y avait de la lumière dans sa chambre. M. Vholes sortit de son étude et leva les yeux vers les fenêtres de Richard. La vue de ce maigre personnage vêtu de noir, et la tristesse des lieux où je me trouvais me firent une vive impression ; je songeais à la jeunesse, à la beauté de ma chère fille, à son amour, à ce trésor enfermé dans cet affreux endroit si peu fait pour le contenir. Il n’y avait personne autour de nous ; je me glissai dans l’escalier que je montai bien doucement ; je retins mon haleine pour écouter, et dans le morne silence de cette maison délabrée, je crus saisir le murmure de leurs voix jeunes et fraîches ; enfin montant jusqu’au palier, j’allai