M. Carstone est engagé dans une partie importante, dont l’enjeu est une valeur considérable ; mais on ne joue pas sans… ai-je besoin de dire le mot ?
— Sans argent, à ce que je présume.
— Pour parler avec franchise (car la franchise est ma règle invariable, soit que je doive y gagner ou même y perdre, ce qui est le cas le plus ordinaire), vous avez dit la chose ; on ne joue pas sans argent. Quant aux chances de gain que peut avoir M. Carstone, je ne saurais me prononcer ; abandonner des droits qu’on a soutenus si longtemps serait peut-être une folie, peut-être un acte de raison ; je n’en sais rien, mais absolument rien.
— Vous oubliez, monsieur, que je ne vous demande pas tout cela, et que vos communications ne m’intéressent nullement, répondit M. Woodcourt.
— Pardonnez-moi, répliqua M. Vholes ; vous vous calomniez, et je ne puis pas souffrir que, dans ma propre étude, vous vous fassiez injure ; non, monsieur, je connais trop le cœur humain pour admettre un instant qu’un gentleman de votre caractère ne s’intéresse pas à ce qui concerne son ami.
— Vous voyez bien, monsieur, que je m’y intéresse, puisque je vous demande son adresse.
— Pour que M. Carstone continue la partie où il est engagé, il faut nécessairement qu’il se procure des fonds ; comprenez-moi bien, monsieur : il a, quant à présent, tout ce qui est nécessaire, mais il faut songer à l’avenir ; à moins toutefois que M. Carstone ne veuille se désister de la cause et perdre les avances qu’il a faites à cet égard ; mais, dans le cas contraire, il lui faudra des fonds ; permettez-moi donc de vous exposer nettement l’état des choses comme à l’ami de M. Carstone : je serai toujours heureux de le représenter à la Cour et d’agir en son nom jusqu’à concurrence des frais garantis par le domaine en litige ; mais pas au delà. Je ne le pourrais pas sans faire tort à mes trois filles et à mon vénérable père dont je suis l’unique soutien ; et c’est chez moi, monsieur, une résolution (appelez-la folie ou faiblesse, comme vous voudrez), mais une résolution bien arrêtée de ne faire tort à personne. »
M. Woodcourt ne peut qu’approuver une semblable détermination, bien qu’il y mette assez de froideur.
« Mon seul désir, poursuit l’avoué, est de laisser après moi un nom sans tache ; c’est pour cela, monsieur, que je saisis cette occasion de vous dire franchement où en est M. Carstone. Quant à moi, vous le savez, toute peine mérite salaire ; des intérêts me sont confiés, je m’engage à les servir, à les faire