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— Son départ lui ouvrirait un nouveau monde.

— Assurément, petite femme ; et j’ai pensé quelquefois qu’il avait pu éprouver certain malheur, certain désappointement dans celui où nous sommes. Vous ne l’auriez pas entendu dire ? »

Je fis un signe négatif. « Alors, c’est que je me suis trompé, » dit mon tuteur.

Il y eut un instant de silence ; et craignant d’augmenter encore l’anxiété d’Éva, je me mis à chanter l’air favori de M. Jarndyce.

« Pensez-vous que M. Woodcourt ait vraiment envie de partir ? demandai-je à mon tuteur quand j’eus fini de chanter.

— Je n’en suis pas certain, mais je le suppose.

— Dans ce cas, il emportera nos vœux, répliquai-je ; et, bien que cela ne puisse pas l’enrichir, il n’en sera pas plus pauvre. »

J’occupais ma place habituelle à côté de M. Jarndyce, et en regardant Éva qui était en face de moi, je vis de grosses larmes couler sur ses joues. Qu’avais-je à faire, sinon de montrer que j’étais calme et joyeuse ? Cependant en la voyant toujours triste, je lui dis que je la croyais souffrante, et je l’emmenai dans sa chambre. Que je me doutais peu de ce qui pesait sur son cœur !

« Oh ! ma chère et bonne Esther ! me dit-elle quand nous fûmes seules ensemble ; si je pouvais prendre sur moi de tout vous dire, et à mon cousin John !

— Pourquoi ne pas le faire, mon Éva ? »

Pour toute réponse, elle inclina la tête et me serra dans ses bras.

« Vous n’oubliez pas, continuai-je, que M. Jarndyce et moi, nous sommes de bonnes vieilles gens bien faits pour une confidence, et, qu’en particulier, j’ai la prétention d’être la matrone la plus discrète. Quant à celui à qui appartient désormais mon existence, vous connaissez son cœur, vous savez qu’il n’y en a pas de plus noble au monde.

— Certainement non, chère Esther.

— Alors, pourquoi ne pas nous confier ce qui vous attriste ? que craignez-vous, enfant ? vous savez bien qu’on n’y verra pas de mal.

— Pas de mal, Esther ? quand je pense aux années que j’ai passées auprès de vous, à ses soins paternels, à sa tendresse, à nos bonnes relations, à votre chère amitié ; oh ! qu’ai-je fait ? qu’ai-je fait ? »

Je la regardai avec surprise ; mais au lieu de lui répondre, je l’embrassai de tout mon cœur, et je lui rappelai une foule de petites circonstances de notre vie passée pour arrêter sur ses