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— Il joue du fifre admirablement, dit tout à coup Lignum.

— Singulière coïncidence ! répond M. Bucket ; vous ne le croiriez pas, madame ; j’ai joué du fifre dans ma première jeunesse ; non pas avec méthode, ainsi que doit le faire ce jeune garçon ; mais d’instinct, par routine : Seigneur Dieu ! quand j’y pense. Grenadiers anglais… » Voilà un air qui vous réchauffe et vous ranime ; pourriez-vous nous le faire entendre, mon jeune ami ? »

Rien ne peut être plus agréable à toute la société que cette flatteuse invitation ; Woolwich se lève immédiatement, va chercher son fifre et se met à exécuter l’entraînante mélodie. M. Bucket bat la mesure avec enthousiasme, et répète le refrain en fausset : Gre-na-diers an-glais. Bref, il fait preuve d’un goût musical tellement éclairé, que Lignum ôte sa pipe de ses lèvres et ne doute pas qu’il ne doive chanter à merveille. M. Bucket avoue modestement que jadis il avait de la voix ; et, pour témoigner sa reconnaissance de l’accueil qui lui est fait, répond au désir que chacun éprouve de l’entendre, par la ballade : Si vos charmes divins, ballade qui fut, dit-il, son plus puissant auxiliaire auprès de mistress Bucket, à l’époque où, jeune fille, elle se laissa conduire à l’autel.

En un mot, l’officier de police brille d’un tel éclat pendant toute la soirée, que M. Georges, qui d’abord l’avait vu entrer avec un certain déplaisir, commence à être fier de sa société. C’est un homme si cordial, si ouvert, qui a tant de ressources dans l’esprit, que le maître d’armes est bien aise d’en avoir procuré la visite aux Bagnet. Lignum, de son côté, apprécie tellement la valeur d’une pareille connaissance, qu’il prie M. Bucket de vouloir bien les honorer de sa compagnie au prochain anniversaire de la naissance de la vieille. Si quelque chose peut ajouter à l’estime que M. Bucket ressent pour l’aimable société, c’est la découverte qu’il fait du motif qui la rassemble ; il boit à la santé de mistress Bagnet avec chaleur, accepte l’engagement qui vient de lui être offert et l’inscrit sur son memorandum, en exprimant le désir et l’espoir que mistress Bagnet et sa femme seront bientôt comme deux sœurs. « Que serait la vie, ajoute-t-il, sans les liens de l’amitié ? » ce n’est pas dans les fonctions qu’il occupe, dans les emplois publics que l’on trouve le bonheur ; non, c’est dans les joies de la famille, dans les douceurs de la vie intime ; et naturellement il se rapproche encore de l’estimable ami qui lui a procuré des relations où il rencontrera tant de jouissances ; il le regarde avec tendresse et l’attend pour partir ; l’intérêt qu’il lui porte descend jusqu’à ses