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C’est une belle nuit ; la lune est brillante et les étoiles scintillent. M. Tulkinghorn, pour aller au cellier où repose son vieux vin, traverse une petite cour pareille à celle d’une prison, et remarque, en levant les yeux, combien la nuit est belle, la lune brillante et les étoiles nombreuses.

C’est une nuit paisible entre toutes. On dirait que la lune verse le calme et le silence en même temps que sa lumière, et fait planer une certaine quiétude sur les lieux mêmes où la vie déborde et s’agite. Non-seulement la nuit est calme sur les routes poudreuses et sur le haut des collines, sur la campagne endormie, découpant à l’horizon la frange de ses arbres ; sur la rivière, dont le courant étincelle en passant au milieu des roseaux qui soupirent ; et qui, reflétant les arches des ponts et les vaisseaux qui l’assombrissent, fuit entre les maisons pressées pour aller se jeter dans la mer. Non-seulement la nuit est calme sur l’Océan profond, sur le rivage, d’où le guetteur suit du regard le navire qui, les ailes déployées, franchit le sentier lumineux qui semble n’exister que pour lui ; mais encore sur la ville immense où le repos est descendu. À la pâle clarté qui les baigne, ses clochers et ses tours prennent une forme éthérée ; la silhouette de ses toits est moins massive et perd sa trivialité. Les bruits qui montent de la rue s’amortissent ; les pas, devenus plus rares, s’éloignent tranquillement ; et, dans le quartier qu’habite M. Tulkinghorn, dans ces champs[1] où les bergers font entendre des pipeaux judiciaires qui n’ont qu’un son, et où les brebis gardées à coups de houlette sont tondues jusqu’au vif, les bruits légers qui s’élèvent se noient dans le bourdonnement de la Cité qui vibre comme une vaste cloche.

Un coup de feu ! Qui l’a tiré ? d’où vient-il ?

On s’arrête et on regarde autour de soi. Quelques visages paraissent aux fenêtres ; les portes s’ouvrent. La détonation a éclaté vivement et l’écho la prolonge. Tout s’éveille ; les chats, terrifiés, bondissent ; les chiens aboient. L’un d’eux hurle comme un démon. Le bourdonnement des rues grandit tout à coup, c’est un cri général ; l’airain s’ébranle ; mais, avant que dix heures aient fini de sonner à la dernière horloge, tout s’apaise, tout est calme, et la lune verse tranquillement sa lumière au sein de la nuit paisible.

M. Tulkinghorn n’a-t-il rien entendu ? Ses fenêtres sont noires et tranquilles comme si de rien n’était, et sa porte est fermée ? il faudrait, certes, quelque chose de bien extraordinaire pour le

  1. Lincoln’s Inn Fields (champs de Lincoln’s Inn).