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CHAPITRE II.

Le rendez-vous.

Il fait nuit dans Lincoln’s-Inn, vallée obscure et trouble où, à l’ombre de la loi, les plaideurs ne rencontrent jamais qu’un jour douteux ; les chandelles sont éteintes ; les clercs ont descendu quatre à quatre les vieux escaliers de bois et se sont dispersés par la ville.

Tout est fermé ; il est neuf heures, et le portier de nuit, respectable gardien qui a pour le sommeil une faculté sans égale, est à son poste dans sa loge. Aux fenêtres des paliers, quelques quinquets fumeux et voilés comme les yeux de la justice, servent d’argus pour éclairer les ténèbres, mais au lieu des yeux, qu’Argus étalait sur sa queue, elles n’ont qu’un lumignon blafard qui regarde d’un air d’envie les étoiles du firmament. De petits points lumineux, que çà et là on aperçoit près des combles, dénoncent l’endroit où d’infatigables expéditionnaires travaillent sans relâche à entortiller de vrais domaines dans un réseau de parchemins, consommant, l’un dans l’autre, la peau de dix moutons en moyenne par arpent, et continuent après l’heure de pâlir sur cette besogne éminemment utile, afin qu’on puisse chaque jour grossir le compte du client.

Dans la cour voisine, où le chancelier marchand de guenilles tient sa boutique de chiffons et de vieilles bouteilles, on se dispose à souper. Mistress Perkins et mistress Piper, dont les fils jouent avec leurs camarades quelques heures à cache-cache dans les recoins de Chancery-Lane, au grand déplaisir des passants, se congratulent réciproquement de ce que les enfants sont couchés, et babillent sur la porte avant de se séparer. M. Krook et son locataire, l’habitude qu’a le premier d’être « continuellement ivre, » et l’avenir testamentaire du jeune homme, forment comme toujours le fond de la conversation ; mais ces dames ont encore bien d’autres choses à se dire ; probablement à propos de la réunion philharmonique des Armes d’Apollon, d’où, par les fenêtres ouvertes, le clapotis du piano arrive jusqu’à elles, avec la voix du petit Swills, qui, après un succès frénétique, adjure ses amis d’un ton sentimental d’écou-