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ques marches, en descendit quelques autres, traversa plusieurs corridors, et jamais les zigzags de la vieille demeure n’avaient paru plus longs à mon oreille attentive. Elle revint enfin avec la lettre, qu’elle posa sur la table, et se retira immédiatement. J’allai m’asseoir, et je rêvai longtemps avant de prendre la lettre. Je me rappelai mon enfance, les tristes jours que j’avais passés chez ma marraine, et l’instant où, plus abandonnée que jamais, je m’étais trouvée seule, avec mistress Rachaël, auprès du corps glacé de ma tante. Je me revis un peu plus tard au milieu des amies que j’avais à Greenleaf ; et j’arrivai à l’époque où je rencontrai ma chère Éva, dont la tendresse et la beauté faisaient le charme de ma vie. Je me rappelai ce regard bienveillant qui nous avait accueillis à Bleak-House. L’heureuse existence que j’avais menée depuis lors se déroula devant moi ; et je devais tout ce bonheur à un être excellent dont la figure radieuse m’était représentée par cette lettre.

Je déchirai l’enveloppe et je lus avidement les pages qu’elle contenait. Elles exprimaient tant d’affection et de désintéressement que mes yeux s’emplirent de larmes. C’était bien ce que j’avais supposé ; il me demandait si je voulais être la maîtresse de Bleak-House.

Il ne me parlait pas d’amour, bien qu’on sentît sous chaque phrase l’émotion qui l’avait inspirée. Il s’adressait à moi comme si les rôles avaient été changés, comme si la reconnaissance eût été de son côté et les bienfaits du mien. Il me disait que j’étais jeune et qu’il ne l’était plus. Il insistait sur ses cheveux gris et m’engageait à réfléchir sérieusement avant de me prononcer. Je n’avais rien à gagner à ce mariage, disait-il ; et surtout rien à perdre en refusant d’y consentir. De nouveaux liens n’augmenteraient pas l’affection qu’il avait pour moi ; et, quelle que fût ma réponse, il était sûr qu’elle serait conforme à la raison ; mais il avait cru devoir m’offrir cette nouvelle position après la confidence que je lui avais faite dernièrement, ne serait-ce que pour donner un démenti à l’anathème qu’on avait jeté sur ma naissance. Puis il songeait à l’avenir ; il prévoyait qu’Éva ne resterait pas longtemps avec nous, et que notre vie serait désorganisée. Mais, ajoutait-il, quand même vous penseriez, aujourd’hui, pouvoir devenir la compagne de mes dernières années, je veux que vous preniez tout le temps nécessaire pour délibérer avec vous-même sur ma proposition, et que vous vous rappeliez, en cas de refus, que je resterai pour vous ce que j’ai toujours été ; de même que vous voudrez bien, je l’espère, conserver ici la place que vous y occupez.