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Charley tomba malade ; douze heures après elle était au plus mal ; je la transportai dans ma chambre, la couchai dans mon lit et m’installai auprès d’elle. Je prévins mon tuteur et lui dis pourquoi je désirais avant tout n’avoir aucun rapport avec Éva. Les premiers jours, elle vint souvent à ma porte et me reprocha en pleurant de ne pas lui ouvrir ; je lui écrivis longuement pour la supplier, au nom de la vive tendresse qu’elle ressentait pour moi, de ne pas même approcher de ma chambre, et de s’en tenir à me parler du jardin. Elle venait donc fréquemment sous ma fenêtre, et si j’avais toujours aimé à l’entendre, combien sa voix m’était douce quand je l’écoutais, cachée derrière le rideau que je n’osais pas ouvrir ! combien surtout elle me sembla précieuse pendant ces jours d’épreuve !

On mit un lit pour moi dans notre petit salon ; j’ouvris la porte qui donnait dans ma chambre, et ces deux pièces je n’en fis qu’une, pour avoir plus d’air autour de la malade ; Éva n’habitait plus cette partie de la maison, et, malgré la bonne volonté de nos servantes, qui auraient été heureuses de me seconder auprès de Charley, je pensai qu’il valait mieux choisir une bonne femme du voisinage, qui ne verrait pas Éva, et en qui je pouvais avoir toute confiance.

La maladie de Charley devenait de plus en plus grave, et la pauvre petite fut en danger pendant longtemps ; elle était si patiente et montrait tant de courage, que bien des fois, tandis qu’elle appuyait sa tête sur mon bras, seule attitude où elle trouvât le repos, je demandai à notre Père qui est aux cieux, de ne pas oublier l’exemple que me donnait cette chère enfant.

J’avais d’abord été bien triste en songeant qu’elle serait défigurée ; elle était si jolie avec ses joues à fossettes ! mais cette pensée fit bientôt place à une plus vive inquiétude ; et, lorsque j’écoutais son délire, je me demandais comment je ferais pour apprendre à son frère et à sa sœur que l’enfant qui avait trouvé dans son amour la force de leur servir de mère, était morte.

Quand elle avait sa raison, elle causait de Tom et d’Emma, leur envoyait toute sa tendresse et me disait que bien sûr un jour Tom serait un bon garçon ; puis elle me parlait des dernières lectures qu’elle avait faites à son père afin de le consoler ; du fils unique de la veuve que l’on allait enterrer ; de la fille du centurion qu’une main divine avait ressuscitée ; et ajoutait que, lorsque son père était mort, elle avait demandé au bon Dieu de le ressusciter aussi et de le rendre à ses pauvres enfants ; que si elle venait à mourir, elle pensait que la même prière viendrait à l’esprit de Tom, et qu’alors je veuille bien lui dire