d’éviter, autant que possible, de rencontrer sir Leicester ; il comprenait mes sentiments à cet égard, il les partageait même et se chargea d’empêcher M. Skimpole de retourner au château. Quant à ma mère, il était impossible de la conseiller ou de la secourir. Si les soupçons qu’elle avait conçus, relativement à ce procureur, étaient fondés, et M. Jarndyce n’en doutait pas, il était presque certain qu’elle serait dénoncée ; il connaissait de vue et de réputation l’avoué de sir Leicester, et il était persuadé que c’était un homme dangereux. « Quoi qu’il arrive, me répéta-t-il avec une bonté pleine de sollicitude, n’oubliez pas que vous en êtes innocente et que vous ne pouviez pas l’empêcher. Soyez même bien convaincue que ce n’est pas votre existence qui aura mis sur la voie de cette découverte.
— J’en suis sûre, relativement au procureur, puisqu’il ne m’a jamais vue, répondis-je ; mais il y a deux autres personnes qui m’inquiètent ; et je dis à mon tuteur ce que m’avaient fait supposer les intentions de M. Guppy, dont toutefois le silence me semblait assuré depuis notre dernière entrevue. J’étais moins tranquille en pensant à l’ancienne femme de chambre de ma mère et aux offres pressantes qu’elle m’avait faites d’entrer à mon service.
— Elle est plus à redouter que le jeune homme, me répondit mon tuteur d’un air pensif ; et pourtant il était naturel qu’elle cherchât à se placer.
— Mais elle avait des manières si étranges !
— Assurément il y eut quelque chose de bizarre dans la façon dont elle ôta ses souliers après cette pluie d’orage ; surtout dans le sang-froid qu’elle mit à faire cette bravade qui pouvait la tuer ; mais il y aurait folie à se préoccuper d’une foule de circonstances qui, pour être inexplicables, n’en sont pas moins insignifiantes. Rassurez-vous, petite femme, et dans l’intérêt même de celle pour qui vous vous alarmez, faites taire votre inquiétude et agissez comme à l’ordinaire. Maintenant que je partage votre secret, je veillerai sur elle autant que les circonstances me le permettront ; et, s’il arrive que je puisse lui tendre la main, ou lui rendre le moindre service, je le ferai, soyez-en sûre, par amour pour sa fille. »
Je le remerciai de tout mon cœur, et j’allais partir quand il me pria de rester encore un moment. Je ne sais quelle expression avait sa figure ; mais il me sembla que je pressentais vaguement ce dont il voulait me parler.
« Je songe depuis longtemps au projet que je désire vous soumettre, me dit-il.