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prouvé son innocence, et revint bientôt, ramenant les trois jeunes ladies et leur mère, qui avait été fort belle et qui n’était plus maintenant qu’une femme délicate à l’air souffrant et dédaigneux.

« Voici Aréthuse, ma beauté, nous dit M. Skimpole ; elle joue du piano et chante, comme son père, des fragments de toute espèce de musique ; Laura, ma sentimentale, qui touche un peu de piano, mais qui ne chante pas ; et Kitty, ma spirituelle, qui chante et ne joue d’aucun instrument ; nous composons, nous dessinons tous un peu et nous n’avons ni les uns ni les autres aucune notion des chiffres. »

Mistress Skimpole soupira en entendant cette dernière phrase, et je crus voir qu’elle regardait mon tuteur en soupirant ainsi.

« Il est curieux, continua M. Skimpole, d’observer les bizarreries particulières à chaque famille : dans celle-ci, par exemple, nous sommes tous de grands enfants, et c’est moi qui suis le plus jeune ; il faut qu’il en soit ainsi, puisque c’est dans notre nature ; je suis persuadé que miss Summerson, dont la capacité administrative est surprenante, trouve singulier que nous ne sachions pas comment s’apprête une côtelette ; nous ne savons rien dans cette maison en fait de cuisine, et l’usage du fil et des aiguilles nous est complétement inconnu ; mais nous admirons ceux qui possèdent les qualités qui nous manquent, et nous ne voyons pas pourquoi ils nous chercheraient querelle en échange de notre admiration ; leur lot est la sagesse et le nôtre la sympathie ; n’est-ce pas, mes roses ?

— Oh ! oui, papa, dirent les trois sœurs.

— Aimer et sentir, voilà notre rôle au milieu du tohu-bohu de l’existence ; nous avons la faculté de voir le beau et d’y prendre un puissant intérêt, nous regardons et nous sommes vivement impressionnés, que pouvons-nous faire de plus ? Voilà ma beauté, qui épousa il y a trois ans un enfant comme elle et qui depuis lors a donné le jour à deux anges ; tout cela est mal au point de vue de l’économie politique ; mais c’est fort agréable ; c’est une occasion de se réjouir en famille et d’échanger quelques idées sociales ; un jour, ma beauté vint avec son mari s’abriter sous mon toit ; elle y a fait son nid, et ses hirondeaux y sont nés : le temps arrivera où les deux autres feront comme elle, et nous vivrons sans trop savoir comment ; mais nous vivrons heureux. »

Les trois sœurs étaient le portrait de leur père ; même esprit et mêmes idées, ainsi que nous pûmes nous en convaincre, Éva