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— J’entends par là, reprit M. Jarndyce, que lorsque vous allez avec lui quelque part, il ne faut pas permettre qu’il paye pour vous deux.

— Que voulez-vous que je fasse ? Il m’emmène, il faut bien que j’aille avec lui ; et comment payerais-je, puisque je n’ai pas d’argent ? Supposez que je demande à un homme : « Combien cela ? » et qu’il me réponde : « Sept schellings et six pence ; » je ne sais pas ce que cela veut dire, pas plus que si on me parlait arabe. Comment voulez-vous que je m’adresse à quelqu’un dans une langue que je n’ai jamais comprise ?

— Dans ce cas-là, dit mon tuteur, à qui cette réponse ne parut pas déplaire, quand vous voyagerez avec Richard, empruntez-moi l’argent dont vous aurez besoin (sans qu’il le sache, bien entendu), et laissez-lui régler vos comptes.

— Mon cher ami, je ne demande pas mieux que de vous être agréable ; mais tout cela me paraît une formalité superflue, un préjugé. D’ailleurs, je croyais que M. Carstone était immensément riche, et qu’il lui suffisait de transférer quelque chose ou de signer une traite ou un billet quelconque pour faire pleuvoir les guinées et les pence.

— Hélas ! non, dit Éva ; bien loin d’être riche, il est pauvre.

— Vraiment ? répondit M. Skimpole en souriant ; vous m’étonnez beaucoup.

— Et d’autant plus pauvre qu’il nourrit une illusion perfide, ajouta M. Jarndyce en posant la main sur le bras de M. Skimpole. Ayez bien soin de ne pas l’entretenir dans cette idée, qui le mènerait à sa perte.

— Vous savez, mon cher ami, que je ne connais rien aux affaires. Ce n’est pas moi qui l’entretiens dans ses idées ; c’est lui qui m’entraîne à les suivre. Il me parle de son procès et déroule à mes yeux la plus brillante perspective, en me demandant ce que j’en pense. Moi, je ne puis qu’admirer, comme j’admire tout ce qui est séduisant ; mais je n’en sais pas plus long, et je ne le lui cache pas. »

La franchise et la simplicité qu’il mettait dans ses paroles produisirent sur moi leur effet accoutumé. Je ne pouvais croire, en l’écoutant, qu’il fût capable de dissimuler quelque chose ou d’influencer quelqu’un ; et cependant, lorsque je me trouvais seule, toutes mes craintes me revenaient malgré moi, et je souffrais de lui savoir des relations avec une personne que j’aimais.

Aussitôt que M. Jarndyce eut terminé ce que M. Skimpole appelait son interrogatoire, celui-ci nous quitta pour aller chercher ses filles, laissant mon tuteur enchanté de nous avoir