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rassis, sentirent si bien s’en aller leur énergie, sous l’influence de ces nouvelles décourageantes, qu’à huit heures du soir il n’y restait plus que Dennis, Hugh et Barnabé. Encore étaient-ils à moitié endormis sur les bancs dans la salle, quand ils furent réveillés par l’entrée de Gashford.

« Oh ! vous voilà donc ici ? dit le secrétaire. Je ne m’attendais guère à vous trouver là.

— Et où donc voulez-vous que nous soyons, maître Gashford ? répondit Dennis en se mettant sur son séant.

— Oh ! nulle part, nulle part, répliqua-t-il de l’air le plus doucereux. Les rues sont pleines de cocardes bleues, je pensais que vous étiez peut-être plutôt par là. Je suis bien aise de voir que non.

— En ce cas, vous avez donc des ordres à nous transmettre, notre maître ? dit Hugh.

— Des ordres ! oh ! ciel ! non. Je n’en ai pas le moindre, mon brave garçon. Quels ordres voulez-vous que j’aie à vous donner ? vous n’êtes pas à mon service.

— Mais, maître Gashford, fit observer Dennis, nous appartenons à la Cause, n’est-ce pas ?

— La Cause ! répéta le secrétaire, en le regardant comme s’il ne savait pas ce que l’autre voulait lui dire. Il n’y a pas de Cause. La Cause est perdue.

— Perdue !

— Mais certainement. Est-ce que vous n’en avez pas entendu parler ? La pétition a été rejetée à la majorité de cent quatre-vingt-douze contre six. C’est une affaire finie. Nous aurions aussi bien fait de ne pas nous donner tant de mal. Si ce n’était ça et la contrariété de milord, je n’y penserais seulement plus. Qu’est-ce que ça me fait, du reste ? »

En même temps, il avait pris un canif dans sa poche, mis son chapeau sur ses genoux, et s’occupait à découdre la cocarde bleue qu’il avait portée tout le jour, en fredonnant un cantique qui avait été en faveur dans la matinée, et en paraissant la caresser avec une espèce de regret.

Ses deux acolytes se regardaient l’un l’autre, puis le regardaient à son tour, ne sachant trop comment poursuivre la conversation sur ce sujet. À la fin, Hugh, après bien des coups de coude et des coups d’œil échangés avec M. Dennis,