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caution de se rendre de bonne heure à leur poste étaient obligés de faire le coup de poing pour pénétrer dans ces masses et se faire faire un passage.

On arrêtait, on brisait leurs voitures, on en arrachait les roues, on réduisait les glaces en atomes de poussière, on enfonçait les panneaux ; les cochers, les laquais, les maîtres, étaient enlevés de leurs siéges et roulés dans la boue ; lords, évêques, députés, sans distinction de personnes ou de partis, recevaient des coups de pied, des bourrades, des bousculades, passaient de main en main par tous les traitements les plus injurieux ; et, quand ils finissaient par arriver à l’assemblée, c’était avec leurs habits en loques, leurs perruques arrachées, qu’ils s’y présentaient sans voix et sans haleine, tout couverts de la poudre qu’on avait fait tomber de leurs cheveux sur toute leur personne, à force de les battre et de les secouer. Il y eut un lord qui resta si longtemps dans les mains de la populace, que les pairs en corps résolurent de faire une sortie pour le reprendre, et se disposaient réellement à exécuter leur dessein, lorsque heureusement il apparut au milieu d’eux tout couvert de boue et tout meurtri de coups, à peine reconnaissable aux yeux de ses meilleurs amis. Le bruit et le vacarme ne faisaient que croître de moment en moment. L’air était plein de jurons, de huées, de hurlements ; l’émeute furieuse mugissait sans cesse, comme un monstre enragé qu’elle était, et chaque insulte nouvelle dont elle se rendait coupable enflait encore sa furie.

À l’intérieur, l’aspect des choses était peut-être encore plus menaçant. Lord Georges, précédé d’un homme qui faisait porter sur un crochet une immense pétition à travers le couloir jusqu’à la porte de la chambre, où deux huissiers vinrent la recevoir et la déplier sur la table disposée pour la soutenir, était venu de bonne heure occuper sa place, avant même que le président fît la prière. Ses partisans avaient profité de ce moment pour remplir en même temps, comme nous avons vu, le couloir et les avenues. Les membres n’étaient donc plus seulement arrêtés en passant dans les rues, mais on sautait sur eux jusque dans les murs mêmes du parlement, pendant que le tumulte, au dedans et au dehors, couvrait la voix de ceux qui voulaient prendre la parole. Ils ne pouvaient