Page:Dickens - Barnabé Rudge, tome 2, Hachette, 1911.djvu/50

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

« Mère, dit Barnabé, pendant qu’ils étaient assis le lendemain sur un chariot qui devait les mener jusqu’à dix milles de la capitale, nous allons commencer, m’avez-vous dit, par aller à Londres ; y verrons-nous l’aveugle ? »

Elle allait lui répondre : « Dieu nous en garde ! » mais elle se retint et se contenta de lui dire : « Non, je ne croîs pas. Pourquoi cette question ?

— C’est un homme d’esprit, dit Barnabé d’un air pensif ; je voudrais bien me retrouver encore avec lui. Qu’est-ce qu’il disait donc des foules ? Que l’or se trouvait dans les endroits où il y avait de la foule, et non pas parmi les arbres, ni dans des endroits si tranquilles ? Il avait l’air d’aimer ça ; et, comme il ne manque pas de foule à Londres, je crois bien que je le trouverai là.

— Mais, mon cher enfant, pourquoi donc tenez-vous tant à le voir ?

— Parce que, dit Barnabé en la regardant d’un air sérieux, il me parlait de l’or, qui est une chose bien précieuse, et que vous-même, vous avez beau dire, vous voudriez bien en avoir, j’en suis sûr. Et puis, il n’a fait que paraître et disparaître d’une manière si étrange ! Il m’a rappelé ces vieux bonshommes à tête grise, qui viennent quelquefois au pied de mon lit, la nuit, me dire un tas de choses que je ne puis plus me rappeler le lendemain, quand il fait jour. Il m’avait dit qu’il me reparlerait avant de partir : je ne sais pas pourquoi il ne m’a pas tenu parole.

— Mais, mon cher Barnabé, je croyais que vous ne pensiez jamais, auparavant, à être riche ou pauvre, et je vous ai toujours vu content comme vous étiez. »

Il se mit à rire en la priant de lui répéter ça. Puis il se mit à crier : « Hé ! hé ! … oh ! oui ; » et recommença de rire. Mais bientôt il lui passa une autre chose par la tête, qui chassa ce sujet de son esprit, pour faire place elle-même à quelque autre rêve aussi fugitif.

Cependant il était évident, par ce qu’il venait de dire, et par sa persévérance à revenir plusieurs fois là-dessus dans le courant de la journée et encore le lendemain, que la visite de l’aveugle et surtout ses paroles s’étaient fortement emparées de son esprit. L’idée de la richesse lui était-elle vraiment venue, pour la première fois, en regardant ce soir-