Page:Dickens - Barnabé Rudge, tome 2, Hachette, 1911.djvu/41

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

ombres de la nuit s’épaississaient rapidement ; il fut bientôt perdu dans leur obscurité. Cependant, ce ne fut qu’après avoir traversé la ruelle, d’un bout à l’autre, et s’être assurée qu’il était parti, qu’elle rentra dans sa cabane et se dépêcha de barrer la porte et la fenêtre.

« Mère, dit Barnabé, qu’est-ce que vous faites donc ? Où est l’aveugle ?

— Il est parti.

— Parti ! cria-t-il en sursaut. Je voulais encore lui parler. Par où est-il allé ?

— Je ne sais pas, répondit-elle en le prenant à bras-le-corps. Il ne faut pas sortir ce soir : il y a des revenants et des rêves dehors.

— Ah ! dit Barnabé, frissonnant tout bas.

— Il ne fait pas bon à bouger d’ici ce soir, et demain nous quittons la place.

— Quelle place ? Cette cabane… avec le petit jardin, mère ?

— Oui, demain matin au lever du soleil. Il nous faut aller à Londres ; tâcher de nous perdre dans cette grande cohue : on nous suivrait à la trace dans toute autre ville : et puis, après cela, nous nous remettrons en route pour aller chercher quelque nouveau gîte. »

Il ne fallait pas grands efforts de persuasion pour réconcilier Barnabé avec l’idée d’un changement. Au premier moment il était fou de joie : le moment d’après il était accablé de chagrin, en songeant qu’il allait se séparer de ses amis les chiens. Le moment d’après, il était plus enchanté que jamais ; puis il frissonnait à l’idée que sa mère lui avait parlé de revenants pour l’empêcher de sortir ce soir, et rien n’égalait sa terreur et la singularité de ses questions. À la fin, grâce à la mobilité de ses sentiments, il surmonta sa peur, et se couchant tout habillé, pour être plus tôt prêt le lendemain, il s’endormit bientôt devant le triste feu de tourbe.

La mère ne ferma pas l’œil ; elle resta près de lui à veiller. Chaque souffle de vent qu’elle entendait au dehors retentissait à ses oreilles comme ce pas redouté qu’elle connaissait si bien à sa porte, ou comme cette main scélérate posée sur le loquet ; cette nuit calme de l’été fut pour elle une nuit d’horreur. Enfin, Dieu merci ! le jour parut. Quand elle eut fini les petits préparatifs nécessaires pour son voyage,