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et qu’il avait peur que le gentleman n’eût l’intention de se détruire et qu’on ne le vît jamais revenir en vie.

M. Haredale, à peu près sûr que son trouble avait attiré l’attention du domestique, en se rappelant l’expression de ses traits quand ils s’étaient quittés, hâta le pas, gagna une place de fiacres, et monta dans le meilleur, après avoir fait prix avec le cocher pour le conduire sur la route jusqu’au sentier qui conduisait chez lui à travers champs, et pour attendre son retour auprès d’une maison de plaisance qui se trouvait à une portée de fusil loin de là. Il ne tarda pas à arriver à sa destination, et descendit pour faire le reste du chemin à pied.

Il passa si près du Maypole qu’il pouvait en voir la fumée monter au-dessus des arbres, pendant qu’une bande de pigeons sans doute de ses vieux habitants avant l’incendie…. déployant gaiement leurs ailes pour retourner au colombier, lui cachait la vue du ciel. « La vieille maison va rajeunir, dit-il en regardant de ce côté, et il y aura là un gai foyer sous son toit couvert de lierre. C’est toujours une consolation de penser que tout n’est pas ruines dans le voisinage. Je serai bien aise d’avoir au moins un tableau moins morne et moins sombre où reposer mon esprit. »

Il reprit sa marche, en dirigeant ses pas du côté de la Garenne. Quelle belle soirée, claire, calme, silencieuse ! pas un souffle de vent pour agiter les feuilles, rien que les sonnettes monotones des agneaux qui tintaient dans la campagne, et, par intervalles, le beuglement lointain du bétail ou l’aboiement des chiens du village. Le ciel était rayonnant de la gloire adoucie d’un soleil couchant ; sur la terre, comme dans l’air, régnait un profond repos. Telle était l’heure à laquelle il arriva à ce manoir abandonné qui avait été si longtemps sa demeure, et il se mit à regarder pour la dernière fois ses murs noircis par la flamme.

Les cendres du feu le plus ordinaire donnent toujours à l’âme une émotion mélancolique, car elles portent en elles un souvenir de quelque chose qui a été vivant et animé, et qui n’est plus maintenant qu’une inerte, froide et odieuse poussière, une image de mort et de destruction, qui attire malgré nous notre sympathie. Mais combien sont plus tristes encore les restes épars d’une maison qui fut la nôtre, consumée par l’incendie, le renversement du grand autel