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renfermé tout le jour. Il avait envie d’aller ce soir-là rendre sa dernière visite à son vieux manoir, parce que c’était le temps où il avait l’habitude d’y faire une petite tournée, et qu’il était bien aise de le revoir sous l’aspect qui lui était le plus familier. À l’heure qui lui permettait d’y arriver avant le coucher du soleil, il quitta donc l’auberge et se trouva au détour de la grande rue.

Il n’avait encore fait que quelques pas, et marchait tout pensif au travers de la foule bruyante, quand il sentit une main sur son épaule, et reconnut, en se retournant, un des garçons de l’auberge, qui lui dit : « Pardon, monsieur, mais vous avez oublié votre épée.

— Pourquoi me la rapportez-vous ? demanda-t-il en étendant la main, sans reprendre encore son arme au domestique, mais en le regardant d’un air troublé et agité.

— Je suis bien fâché, dit l’homme, d’avoir désobligé monsieur, je vais la remporter. Monsieur avait dit qu’il allait faire un petit tour à la campagne, et qu’il ne reviendrait pas de bonne heure ; or, comme les routes ne sont pas trop sûres pour un voyageur seul attardé après la brune, et que, depuis les troubles, ces messieurs prennent encore plus qu’auparavant la précaution de ne pas se hasarder sans armes dans des endroits écartés, nous avons pensé, monsieur, qu’étranger à ce pays, vous aviez cru peut-être nos routes plus sûres qu’elles ne sont ; mais après cela, peut-être qu’au contraire vous les connaissiez bien et que vous avez sur vous des armes à feu…. »

Il prit l’épée, et l’attachant à son côté, il remercia le domestique et continua son chemin.

On se rappela longtemps après qu’il fit tout cela d’une manière étrange et d’une main si tremblante que le garçon resta à le regarder pendant qu’il poursuivait sa route, incertain s’il ne devait pas le suivre pour le surveiller. On se rappela longtemps après qu’on l’avait entendu arpenter à grands pas sa chambre au fort de la nuit ; que les domestiques s’étaient entretenus le lendemain matin de sa pâleur et de sa mine fiévreuse ; qu’enfin, lorsque le garçon qui lui avait porté son épée était revenu à l’auberge, il avait dit à un de ses camarades qu’il avait encore comme un poids sur l’estomac de tout ce qu’il avait observé dans ce court intervalle,