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brave et virile nature. Plus tard, cher Joe, vous verrez avec le temps que vous m’avez appris tout cela : car je veux être, non-seulement à présent que nous sommes jeunes et pleins d’espérance, mais encore quand nous serons devenus vieux et cassés, je veux être votre douce, votre patiente, votre infatigable petite femme. Je ne veux plus avoir de pensée ni de soin que pour notre ménage et pour vous ; je veux m’étudier sans cesse à vous plaire par le témoignage constant de ma plus vive affection et de mon amour le plus dévoué. Je le veux, oh oui, je le veux ! »

Joe ne put que répéter ses premiers mouvements d’éloquence, mais… c’était bien tout ce qu’il pouvait faire de mieux approprié à la circonstance.

« Ils le savent à la maison ; dit Dolly. Pour vous suivre, je les quitterais, s’il le fallait ; mais je n’en ai pas besoin ; ils savent tout, et ils en sont charmés ; ils sont aussi fiers de vous que moi-même, et aussi pleins de reconnaissance…. Ne viendrez-vous pas me voir, comme un pauvre cher ami qui m’a connue, quand j’étais petite fille ? n’est-ce pas que vous viendrez, cher Joe ? »

C’est bon ! c’est bon ! ne vous inquiétez pas de ce que Joe dit en réponse : il en dit bien long, à coup sûr. Et Dolly ne fut pas en reste. Et il pressa Dolly dans son bras, qui la serrait joliment, pour un bras seul. Et Dolly ne fit pas de résistance ; et s’il y a jamais eu un couple heureux dans ce monde, qui avec tous ses défauts n’est pas encore si misérable, au bout du compte, vous pouvez dire, sans risque de vous tromper, que c’était celui-là.

Dire que, durant ces évolutions, M. Willet senior éprouvait les plus grandes émotions de surprise dont la nature humaine soit susceptible ; dire qu’il était dans une espèce de paralysie d’étonnement, et qu’il était enlevé dans les régions les plus ardues, les plus étourdissantes, les plus inaccessibles, d’une stupéfaction compliquée…. ce serait faire en termes bien imparfaits une esquisse trop incomplète de l’état d’esprit où il se trouvait égaré. Si un Roc, un aigle, un griffon, un éléphant volant, un cheval marin avec ses grandes ailes, lui eût apparu subitement, qu’il l’eût pris sur son dos, et l’eût emporté corporellement au cœur même de la Savaigne, ce n’aurait été pour lui qu’un événement vulgaire et journalier, en compa-