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— Que voulez-vous de moi ? répondit-elle. Que demandez-vous ?

— Nous sommes pauvres, la veuve ; nous sommes pauvres, répliqua-t-il en étendant sa main droite et en se frottant le pouce dans la paume de la main.

— Pauvres ! s’écria-t-elle. Et moi, qu’est-ce que je suis donc ?

— Les comparaisons sont toujours odieuses, dit l’aveugle. Je n’en sais rien ; ça ne me fait rien ; ça ne me fait rien. Ce que je sais, c’est que nous sommes pauvres. Les affaires de mon ami ne sont pas brillantes ; les miennes non plus. Il nous faut des droits ou un dédommagement. D’ailleurs, vous savez tout cela aussi bien que moi ; à quoi bon tant de paroles ? »

Elle recommença à se promener d’un air terrifié, de long en large dans la chambre. À la fin, s’arrêtant brusquement devant lui :

« Est-ce qu’il est près d’ici ? demanda-t-elle.

— Oui, tout près.

— Alors je suis perdue.

— Perdue, la veuve ! dit l’aveugle avec calme. Au contraire ; dites donc plutôt retrouvée. Voulez-vous que je l’appelle ?

— Pour rien au monde, répondit-elle en frissonnant.

— Très-bien, répliqua-t-il en croisant de nouveau ses jambes, car il avait fait mine de se lever pour aller à la porte. Comme vous voudrez, la veuve ; sa présence n’est pas nécessaire, que je sache. Mais enfin, lui et moi, il faut bien que nous vivions. On ne peut pas vivre sans boire ni manger. On ne peut pas boire et manger sans avoir de l’argent… Je n’ai pas besoin de vous en dire davantage.

— Vous ne savez donc pas, reprit-elle, que je ne vis moi-même que de privations ? Il faut que vous l’ignoriez apparemment. Si vous aviez des yeux et que vous pussiez les promener autour de vous dans ce pauvre réduit, vous auriez pitié de moi. Ah ! mon ami, que votre propre affliction attendrisse aussi votre cœur en notre faveur et lui donne quelque sympathie pour ma misère ! »

L’aveugle fit claquer ses doigts et répondit :

« Vous n’êtes pas dans la question, madame, vous n’êtes pas dans la question. J’ai le cœur le plus tendre du monde, mais ça ne suffit pas pour vivre. Au contraire, je connais