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leur conversation, quand il pourrait trouver l’occasion d’y placer son mot. Il avait aussi la figure tournée du côté de la lumière du soleil couchant ; mais ses yeux exposés à l’éclat des derniers feux du soir montraient, par leur immobilité, qu’il était aveugle et qu’il n’en éprouvait aucune perception.

« Dieu bénisse les voix qui frappent mon oreille ! dit le voyageur. La soirée m’en semble plus belle encore à les entendre. Les voix remplacent pour moi les yeux. Voudraient-elles bien parler encore, pour réjouir le cœur d’un pauvre pèlerin ?

— Est-ce que vous n’avez pas de guide ? demanda la veuve après un moment de silence.

— Je n’en ai pas d’autre que celui-ci (et il levait son bâton vers le soleil), et quelquefois la nuit un astre plus doux pour diriger mes pas ; mais en ce moment il se repose.

— Est-ce que vous venez de faire un long voyage ?

— Bien long et bien fatigant, répondit-il en secouant la tête ; fatigant, on ne peut plus. Tiens ! je viens de heurter avec mon bâton la margelle de votre puits…. Faites-moi donc le plaisir de me donner un verre d’eau, madame ?

— Pourquoi m’appeler madame ? répliqua-t-elle. Je ne suis pas plus riche que vous.

— C’est que vous avez la parole douce et distinguée, voilà pourquoi ; la bure ou la soie sont tout un pour moi, quand je ne peux les toucher. Je ne puis pas juger les gens à leur mise.

— Tournez par ici, dit Barnabé, qui était sorti du jardin à sa rencontre. Donnez-moi la main. Vous êtes donc aveugle, et toujours dans l’obscurité, hein ? N’avez-vous pas peur de l’obscurité ? Est-ce que vous n’y voyez pas un tas de figures qui marmottent je ne sais quoi en faisant des grimaces ?

— Hélas ! répliqua l’autre, je n’y vois rien du tout. Que je veille ou que je dorme, jamais rien. »

Barnabé regarda ses yeux avec curiosité ; il les toucha de ses doigts, comme aurait pu le faire un enfant indiscret, en le conduisant à la maison.

« Si vous venez de si loin, dit la veuve allant au-devant de lui à la porte, comment avez-vous pu trouver votre chemin tout le long de la route ?

— J’ai toujours entendu dire que le temps et le besoin sont de grands maîtres : ce sont bien les meilleurs, dit l’aveugle en s’asseyant sur la chaise vers laquelle l’avait conduit Bar-