Page:Dickens - Barnabé Rudge, tome 2, Hachette, 1911.djvu/280

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

moment où elles seraient réunies avec leurs parents et leurs amis.

« Cela peut se dire en deux mots, répondit-il en lançant à la fille du serrurier un regard de dépit. Le peuple s’est levé comme un homme contre nous. Les rues sont remplies de soldats qui soutiennent l’insurrection et font cause commune avec elle. Nous n’avons aucun secours à attendre d’eux, et point d’autre salut que la fuite. Encore est-ce une pauvre ressource, car on nous épie de tous côtés, et on veut nous retenir ici par la force ou par la fraude. Miss Haredale, il m’est pénible, croyez-le bien, de vous parler de moi, ou de ce que j’ai fait ou de ce que je suis disposé à faire ; j’aurais trop l’air de vous vanter mes services. Mais comme j’ai des connaissances puissantes parmi les protestants, et que toute ma fortune est embarquée dans leur navigation et leur commerce, j’ai eu le bonheur de trouver là le moyen de sauver votre oncle. Je puis vous sauver de même, et c’est pour acquitter la promesse sacrée que je lui ai faite de ne pas vous quitter avant de vous avoir remise dans ses bras, que vous me voyez ici. La trahison ou le repentir d’un des hommes qui vous entourent m’a fait découvrir votre retraite, et vous voyez comment je m’y suis frayé un chemin l’épée à la main.

— Vous m’apportez sans doute, dit Emma défaillante, quelque lettre ou quelque gage de la part de mon oncle ?

— Non, il n’en a pas, cria Dolly en lui montrant l’étranger avec vivacité. Je suis sûre à présent qu’il n’en a pas. Pour tout au monde n’allez pas avec lui.

— Taisez-vous, petite sotte, taisez-vous, répliqua-t-il en fronçant le sourcil avec colère ; non, mademoiselle Haredale, je n’ai ni lettre ni gage d’aucune espèce : car, en vous montrant de la sympathie, à vous et à ceux d’entre vous qui vous trouvez victimes d’un malheur si accablant et si peu mérité, je ne me dissimule pas que j’expose ma vie ; et je n’avais pas envie, par conséquent, d’apporter sur moi une lettre qui m’aurait valu une mort certaine. Je n’ai pas songé un moment à demander, ni M. Haredale à me proposer le moindre gage de la fidélité de mon message…. peut-être aussi n’en a-t-il pas eu l’idée, se fiant à la parole, à la sincérité d’un homme à qui il devait la vie. »