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côté où il entra, par un fort guichet en fer, et à l’autre bout par deux portes et une grille épaisse. Il ferma par-dessus lui le guichet à double tour, et, après s’être bien assuré que les autres entrées étaient également solidement fermées, il s’assit sur un banc dans la galerie, et se mit à sucer la tête de sa canne avec un air de complaisance, de calme et de satisfaction extrêmes.

C’eût été déjà bien étrange de voir un homme se donner ce genre de plaisir avec tant de tranquillité, pendant que la prison était en feu et au milieu du tumulte qui déchirait l’air, quand il aurait été hors de l’enceinte des murs. Mais ici, au cœur même du bâtiment, et, de plus, assourdi par les prières et les cris des quatre condamnés dont les mains, étendues à travers le grillage des portes de leurs cellules, se serraient avec frénésie sous ses yeux pour implorer son aide, c’était une particularité bien remarquable. C’est que, voyez-vous, M. Dennis s’était dit apparemment que ce n’était pas tous les jours fête, et qu’il ne fallait pas perdre cette bonne occasion de rire un peu à leurs dépens. En effet, il S’était planté son chapeau sur le coin de l’oreille, en vrai farceur, et suçait la tête de sa canne avec délice, de plus en plus charmé et souriant, comme s’il se disait en lui-même : « Dennis, Dennis, vous êtes un chien de vaurien : le drôle de corps que vous faites ! Il n’y en a pas deux comme vous au monde : vous êtes un vrai original. »

Il resta comme cela sur son banc quelques minutes, pendant que les quatre misérables dans leurs cellules, certains d’avoir entendu entrer dans la galerie quelqu’un qu’ils ne pouvaient pas voir, éclataient en prières aussi pathétiques et aussi pitoyables qu’on pouvait s’y attendre de la part de malheureux dans leur position ; suppliant l’inconnu, quel qu’il fût, de les mettre en liberté, au nom du ciel ! et protestant, avec une ferveur qui pouvait être vraie dans la circonstance, qu’ils s’amenderaient, et qu’ils ne feraient plus jamais, jamais, jamais, le mal devant Dieu et devant les hommes ; qu’ils mèneraient, au contraire, une vie honnête et pénitente, pour réparer par leur chagrin et leur repentir les crimes qu’ils avaient commis. L’énergie terrible de leur langage aurait ému le premier venu. Bon ou mauvais, juste ou injuste (s’il eût été possible qu’un homme bon et juste fût égaré là