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neur, et, enfonçant les portes, revenaient avec tous les meubles, les empilaient contre la porte de la prison pour en faire un feu de joie qui pût la consumer. Aussitôt qu’on eut vent de cette idée, tous ceux qui se donnaient jusque-là une peine inutile jetèrent là leurs outils et se mirent à augmenter le tas, qui bientôt atteignit la largeur de la moitié de la rue, et une telle hauteur que ceux qui allaient porter en haut des combustibles étaient obligés de prendre des échelles. Quand tout le mobilier et les effets du gouverneur eurent été jetés sur ce riche bûcher, jusqu’au dernier, on se mit à les enduire de poix, de goudron, de résine, apportés de toutes parts, et on arrosa le tout de térébenthine. Ils en firent autant à tout le bois qui garnissait les portes de la prison, sans oublier la moindre traverse ni le moindre madrier. Après avoir accompli ce baptême infernal, ils mirent le feu au bûcher avec des allumettes flamboyantes et du goudron enflammé ; puis alors ils se tinrent auprès, pour en surveiller le résultat.

Comme les meubles étaient très-secs et rendus plus inflammables encore par l’huile et la bougie qui s’y trouvaient mêlées, sans parler des autres moyens employés, ils n’eurent pas de peine à prendre feu. Les flammes s’élancèrent avec un rugissement terrible, noircissant le mur de la prison, et se dressant jusqu’au haut de sa façade en serpents de feu. Dans le commencement, les insurgés ramassés autour de l’incendie ne témoignaient l’ivresse de leur triomphe que par leurs regards satisfaits ; mais quand il devint plus brûlant et plus menaçant…. quand il se mit à craquer, à bondir, à mugir, comme une grande fournaise…. quand il se réfléchit sur les maisons vis-à-vis, et qu’il illumina non-seulement les visages pâles et étonnés aux fenêtres, mais jusqu’aux plus intimes recoins de chaque habitation…. quand ils le virent caresser la grande porte de sa lueur rougeàtre, et badiner avec elle, tantôt s’attachant à sa surface durcie, tantôt la quittant tout à coup avec une inconstance sauvage pour prendre son essor vers les cieux, puis revenant l’envelopper dans ses serres brûlantes et préparer sa ruine…. quand il répandit une si vive clarté que le cadran de l’église du Saint-Sépulcre, dont l’aiguille marque si souvent l’heure de la mort pour les condamnés, était aussi lisible qu’en