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oublié, qu’il était en prison…. puis le même bruit de ferraille, et l’ombre disparut.

Il se promena dans la cour de long en large, effarouchant les échos du tintement sonore de ses fers. Il y avait auprès de la porte de son cachot une autre porte, entr’ouverte comme la sienne.

Il n’avait pas fait une demi-douzaine de fois le tour de sa cour qu’en s’arrêtant à regarder cette porte, il entendit encore le bruit de ferraille ; puis il vit à la fenêtre grillée une figure, bien indistincte (le cachot était si sombre et les barreaux si épais !) puis, immédiatement après, parut un homme qui vint vers lui.

La solitude lui pesait, comme s’il y avait un an qu’il fût en prison. L’espoir d’avoir un camarade lui fit doubler le pas, pour faire la moitié du chemin au-devant du nouveau venu.

Qui était cet homme ? C’était son fils.

Ils s’arrêtèrent face à face, se dévisageant l’un l’autre. Lui, il recula tout honteux, malgré lui : quant à Barnabé, en proie à des souvenirs imparfaits et confus, il se demandait où il avait déjà vu cette figure-là. Il ne fut pas longtemps incertain : car tout à coup, portant sur lui les mains, et le colletant pour le jeter à terre, il lui cria :

« Ah ! je sais, c’est vous le voleur ! »

Rudge d’abord, au lieu de répondre, baissa la tête et soutint la lutte en silence ; mais, voyant que l’agresseur était trop jeune et trop fort pour lui, il releva la tête, le regarda fixement entre les deux yeux, et lui dit :

« Je suis ton père. »

Cette parole produisit un effet magique : Barnabé lâche prise à l’instant, recule, et le regarde effrayé ; puis, par un élan subit, il lui passe les bras autour du cou, et lui presse la tête contre ses joues.

Oui, oui, c’était son père : il n’en pouvait douter. Mais où donc était-il resté si longtemps, laissant sa mère toute seule, ou, ce qui était bien pis, seule avec son pauvre idiot d’enfant ? Était-elle réellement maintenant heureuse et à son aise, comme on avait voulu le lui faire croire ? Où était-elle ? N’était-elle pas près d’eux ? Ah ! bien sûr elle n’était pas heureuse, la pauvre femme, si elle savait son fils en prison. Oh ! non.