Page:Dickens - Barnabé Rudge, tome 2, Hachette, 1911.djvu/191

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

che de la prison un pauvre aveugle, qui n’a d’autre récompense à lui offrir que ses prières, et de lui tourner la figure dans la direction de l’ouest, il fera un acte de charité. Merci, mon bon monsieur, je vous suis bien obligé. »

En disant ces mots, et, après s’être un moment arrêté à la porte pour tourner vers son ami son visage ricanant, il partit.

Le guichetier le reconduisit jusqu’au porche, puis il revint ouvrir et débarrer la porte du cachot, et, la tenant toute grande ouverte, il informa le prisonnier qu’il avait la liberté de se promener, pendant une heure, dans la cour voisine, si cela lui faisait plaisir.

Celui-ci répondit par un signe de tête qu’il acceptait, et, quand il se retrouva seul, il se mit à ruminer ce qu’il venait d’entendre dire à l’aveugle, et à peser la valeur des espérances que cette conversation récente avait éveillées dans son âme, tout en regardant machinalement et tour à tour, pendant ce temps-là, la clarté du jour au dehors, ou l’ombre projetée par un mur sur l’autre, et s’allongeant sur les dalles.

La cour dont il jouissait n’était qu’un petit carré, rendu plus froid et plus sombre par la hauteur des murs dont il était entouré, et capable en apparence de donner le frisson au soleil-même. La pierre dont elle était formée, nue, rude et dure, donnait, par contraste, même à Rudge, des pensées de campagne, de prairies et d’arbres verdoyants, avec un désir brûlant de prendre la clef des champs. Cependant il se leva, alla s’appuyer contre le chambranle de la porte et regarda l’azur éclatant du ciel, qui semblait sourire même à cet affreux repaire du crime. À voir le prisonnier, on pouvait croire qu’oubliant un moment sa prison, il se trouvait, par souvenir, étendu sur le dos dans quelque champ embaumé, où ses yeux poursuivaient les rayons du soleil à travers le mouvement des branches étendues sur sa tête…. il y avait bien longtemps.

Tout à coup son attention fut attirée par un bruit de ferraille…. il savait bien ce que c’était, car il avait tressailli tout à l’heure de s’entendre lui-même faire un bruit pareil en marchant pour sortir du cachot. Puis une voix se mit à chanter, et il vit l’ombre d’une personne se dessiner sur les dalles. Cette ombre s’arrêta…. se tut brusquement, comme si le chanteur s’était rappelé tout à coup, après l’avoir un moment