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— Puisqu’il faut en venir là, je suis de votre avis, milord. Que M. Gashford triomphe, à la bonne heure ! Mais, quant à me traiter de mouchard, milord, vous savez bien que vous ne le croyez pas. Je ne sais pas ce que vous entendez par vos causes ; mais la cause pour laquelle j’ai pris parti, c’est celle d’un homme que je voyais contre deux cents, et je vous avoue que je me rangerai toujours du côte de cette cause-là.

— En voilà assez, répondit lord Georges en lui faisant signe de retourner à sa place. Je ne veux pas en entendre davantage.

— Si vous voulez me permettre d’ajouter un mot, milord, je voudrais donner un bon avis à ce pauvre imbécile : c’est de ne pas rester ici tout seul. La proclamation a déjà circulé dans beaucoup de mains, et tout le monde sait qu’il est intéressé dans l’affaire. Il fera bien, le pauvre malheureux, de se cacher en lieu sûr.

— Vous entendez ce qu’il dit, cria lord Georges à Barnabé, qui les avait regardés avec étonnement pendant ce dialogue. Il pense que vous pourriez bien avoir peur de rester à votre poste, et qu’on vous retient peut-être ici contre votre gré. Qu’est-ce que vous dites de ça ?

— Ce que je pense, jeune homme, dit John pour expliquer son conseil, c’est que les soldats pourraient bien venir vous prendre, et que certainement, dans ce cas, vous serez pendu par votre col jusqu’à ce que vous soyez mort…. mort… mort, vous m’entendez ? Et ce que je pense, c’est que vous ferez bien de vous en aller d’ici, et au plus tôt. Voilà ce que je pense !

— C’est un poltron, Grip, un poltron ! cria Barnabé à son corbeau, en le mettant à terre et en posant son drapeau sur son épaule. Qu’ils y viennent ! Vive Gordon ! Qu’ils y viennent !

— Oui, dit lord Georges, qu’ils y viennent. Qu’ils se risquent à venir attaquer un pouvoir comme le nôtre, la sainte ligue d’un peuple tout entier ! Ah ! c’est un fol ! C’est bon, c’est bon. Je suis fier d’avoir à commander de tels hommes. »

En entendant ces mots, Barnabé sentit son cœur se gonfler d’orgueil dans sa poitrine. Il prit la main de lord Georges et la porta à ses lèvres, caressa la crinière de son coursier, comme si l’affection et l’amour qu’il portait au maître s’étendaient jusqu’à sa monture, déploya son drapeau, le fit flotter fièrement, et se remit à marcher de long en large.