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gue que cette porte, derrière lui, avait une serrure et des verrous. Il eut, par la même occasion, une autre idée confuse dans le cerveau, qu’il avait sous la main des volets pour fermer les fenêtres du rez-de-chaussée. Mais il n’en resta pas moins là comme une souche, à regarder de loin dans la direction d’où le bruit s’avançait rapidement, sans seulement se donner la peine de retirer les mains de ses goussets.

Il n’eut pas longtemps à attendre : une masse noirâtre, qui se mouvait dans un nuage de poussière, se fit bientôt apercevoir. L’émeute doublait le pas ; criant à tue-tête, comme des sauvages, ils se précipitèrent pêle-mêle, et, en quelques secondes, ils s’étaient passé l’aubergiste, comme une balle, de main en main, jusqu’au cœur de la troupe.

« Ohé ! cria une voix qu’il reconnut, en même temps que l’homme qui parlait fendait la presse pour se faire un passage jusqu’à lui. Où est-il ? Donnez-le-moi. Ne lui faites pas de mal. Eh bien ! mon vieux Jean, comment ça va ? ha ! ha ! ha ! »

M. Willet le regarda, vit bien que c’était Hugh, mais sans rien dire, et peut-être sans en penser davantage.

« Voilà des camarades qui ont soif ; il faut leur donner à boire, cria Hugh, en le poussant dans la maison. Allons, Jean-Jean, hardi à la besogne ! Donnez-nous de ce bon petit, de cet excellent petit…. extra-fin que vous gardez pour votre boîte ordinaire. »

Jonh articula faiblement ces mots : « Qui est-ce qui payera ?

— Dites donc, les autres, entendez-vous ? Il demande qui est-ce qui payera, » cria Hugh avec des éclats de rire qui rebondirent dans la foule. Puis, se tournant vers John, il ajouta : « Qui payera ? mais, personne ! »

John arrêta ses yeux sur cette masse de figures, les unes ricanantes, les autres menaçantes, les unes éclairées par des torches, les autres indistinctes, quelques-unes couvertes par l’ombre et les ténèbres, ou le regardant fixement, ou faisant l’inspection de sa maison, ou se regardant les unes les autres ; et, sans savoir comment, car il ne se rappelait seulement pas avoir bougé, il se trouva dans son comptoir, assis dans son fauteuil, assistant à la destruction de ses biens, comme à quelque représentation théâtrale d’une nature surprenante et stupéfiante, mais qui ne le regardait pas du tout, à ce qu’il pouvait croire.