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BARNABÉ RUDGE

citer son admission dans la société secrète des Chevaliers Apprentis, et une libre participation à leurs droits, privilèges et immunités. Là-dessus M. Tappertit fit de nouveau le moulinet avec le tibia de la présidence, et donnant au second crâne un coup prodigieux sur le nez, il s’écria : « Qu’on l’introduise ! » À ces terribles paroles l’apprenti salua encore, et se retira comme il était entré.

Bientôt apparurent à la même porte deux autres apprentis, ayant entre eux un troisième, dont les yeux étaient bandés. Il avait une perruque à bourse, un habit à larges pans, avec une garniture de galon terni ; il était en outre ceint d’une épée, conformément aux statuts de l’ordre qui réglaient l’introduction des récipiendaires, et qui leur enjoignaient de revêtir ce costume de cour et de le garder constamment dans de la lavande, pour s’en servir au besoin. L’un des parrains du récipiendaire tenait pointée à son oreille une espingole rouillée, et l’autre un très vieux sabre, avec lequel, tout en s’avançant, il découpait en l’air d’imaginaires ennemis, d’une façon sanguinaire et anatomique.

Comme ce groupe silencieux approchait, M. Tappertit enfonça son chapeau sur sa tête. Le récipiendaire mit alors sa main sur sa poitrine et s’inclina devant lui. Quand il se fut suffisamment humilié, le capitaine ordonna de lui ôter le bandeau et lui fit subir l’épreuve de l’œillade.

« Ha ! dit le capitaine, d’un air pensif, à la suite de l’épreuve, continuez. » Le long camarade lut tout haut ce qui suit : « Marc Gilbert. Age, dix-neuf ans. Engagé avec Thomas Curzon, bonnetier, à la Toison d’Or, Aldgate. Aime la fille de Curzon. Ne peut pas dire si la fille de Curzon l’aime. Serait disposé à le croire. Curzon lui a tiré les oreilles le mardi de la semaine dernière. »

— Comment donc ? cria le capitaine, qui tressaillit.

— Pour avoir regardé sa fille, sauf votre respect, dit le récipiendaire.

— Écrivez : « Curzon dénoncé, » dit le capitaine. Mettez une croix noire devant le nom de Curzon.

— Sauf votre respect, dit le récipiendaire, ce n’est pas ça qu’il y a de pire. Il appelle son apprenti chien de paresseux, et lui supprime sa bière s’il ne travaille pas à son idée. En outre il lui donne à manger du fromage de Hol-