Page:Dickens - Barnabé Rudge, tome 1, Hachette, 1911.djvu/79

Cette page a été validée par deux contributeurs.
70
BARNABÉ RUDGE

— Votre maître vous parle, dit Mme Varden, regardant sévèrement par-dessus son épaule Miggs qui attendait ses ordres.

— Non, ma chère amie, c’est à vous que je parle, répliqua le serrurier toujours avec douceur.

— Ne m’entendez-vous pas, Miggs ? cria la dame opiniâtre en frappant du pied le plancher. Voilà que vous commencez vous aussi, n’est-ce pas ? à ne tenir aucun compte de moi maintenant. Mais on vous en donne l’exemple. »

À ce cruel reproche, Miggs, dont les larmes étaient toujours prêtes à grandes ou petites doses, selon les cas, dans le plus bref délai et sans s’inquiéter des motifs, se mit à pleurer violemment, en tenant ses deux mains serrées pendant ce temps-là sur son cœur, comme si cette précaution pouvait seule l’empêcher de se rompre en mille morceaux. Mme Varden, qui possédait la même faculté à un haut degré de perfection, pleura à l’unisson ; mais, ma foi ! Miggs ne tarda pas à être débordée et céda la première, et, sauf un soupir qui semblait dans l’occasion trahir quelque arrière-pensée de vouloir éclater derechef, elle laissa sa maîtresse en possession du champ de bataille.

Sa supériorité bien constatée, cette dame mit également un prompt terme à ses pleurs, et tomba dans une paisible mélancolie.

Le soulagement était si grand, et la fatigue des incidents de la veille était si accablante pour le serrurier, qu’il pencha sa tête sur sa chaise, et eût dormi là toute la nuit, si la voix de Mme Varden, après une pause de quelque cinq minutes, ne l’avait réveillé en sursaut.

« S’il m’arrive, dit Mme Varden, non plus d’une voix querelleuse, mais de l’accent d’une monotone remontrance, d’être de bonne humeur, s’il m’arrive d’être gaie, s’il m’arrive d’être plus qu’à l’ordinaire disposée au plaisir de la conversation, voilà comme on me traite.

— De bonne humeur comme vous étiez, mame, il n’y a qu’une demi-heure ! cria Miggs. Je n’ai jamais vu si agréable compagnie !

— Parce que, dit Mme Varden, parce que jamais je ne me mêle de quoique ce soit, jamais je n’interromps ; parce que jamais je ne demande pourquoi l’on va, pourquoi l’on vient ;