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BARNABÉ RUDGE

mais il aurait souhaité dans ce moment-là que le gâteau de Yorkshire l’étouffât plutôt.

« Père, dit la fille du serrurier, lorsque fut finie cette embrassade, qu’est-ce donc que j’apprends ? Est-il bien vrai que cette nuit….

— Tout ça est vrai, chère enfant ; vrai comme l’Évangile, Doll.

— M. Chester fils volé, et gisant blessé sur la route, quand vous êtes survenu ?

— Oui ; M. Édouard. Et auprès de lui Barnabé, criant au secours tant qu’il pouvait. Je suis survenu fort à point, car c’est une route solitaire ; il était tard, et, comme la nuit était froide, et que le pauvre Barnabé avait encore moins de raison qu’à l’ordinaire, par suite de sa surprise et de son épouvante, le jeune monsieur n’en avait pas pour longtemps de s’en aller dans l’autre monde.

— Je tremble, rien que d’y penser ! cria sa fille en frémissant. Comment l’avez-vous reconnu ?

— Reconnu ? répliqua le serrurier. Je ne l’ai pas reconnu. Et le moyen de le reconnaître ? Je ne l’avais jamais vu ; j’avais seulement mainte fois entendu parler de lui, comme j’en avais parlé moi-même sans le connaître. Je l’ai transporté chez mistress Rudge, et elle ne l’eut pas plus tôt vu, qu’elle me dit qui c’était.

— Mlle Emma, père, si cette nouvelle lui arrive, exagérée comme elle le sera certainement, est capable d’en devenir folle.

— Eh mais ! écoutez donc encore, et voyez à quoi un homme s’expose quand il a bon cœur, dit le serrurier. Mlle Emma était avec son oncle au bal masqué, à Carlisle-House ; elle y était allée bien malgré elle, m’a-t-on dit à la Garenne. Savez-vous ce que fait votre imbécile de père, après avoir tenu conseil avec mistress Rudge ? Il y va lorsqu’il aurait dû être dans son lit ; il sollicite la protection de son ami le portier, s’affuble d’un masque et d’un domino, et se mêle aux masques.

— Et comme c’est bien digne de lui d’avoir fait cela ! s’écria la fillette, lui mettant son beau bras autour du cou, et lui donnant le plus enthousiaste des baisers.

— Bien digne de lui ! répéta Gabriel, qui affectait de