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BARNABÉ RUDGE

structif de ce genre-là. Bon ! ne va-t-il pas maintenant se faire beau !… un amour de serrurier, ma foi. »

Sans se douter le moins du monde que son maître l’observait de la sombre encoignure près de la porte de la salle à manger, Sim jeta son bonnet de papier, sauta à bas de son siége, et, en deux pas extraordinaires, quelque chose entre l’enjambée d’un patineur et celle d’un danseur de menuet, il bondit jusqu’à une sorte de lavabo à l’autre bout de l’atelier, et là il fit disparaître de sa figure et de ses mains toutes les traces du travail de la matinée, exécutant le même pas pendant tout le temps avec le plus grand sérieux. Cela fait, il tira de quelque endroit caché un petit morceau de miroir, dont il s’aida pour arranger ses cheveux et constater l’état exact d’un petit bouton qu’il avait sur le nez. Ayant alors parachevé sa toilette, il posa le morceau de miroir sur un banc peu élevé, et regarda par-dessus son épaule tout ce qui put se refléter de ses jambes dans un cadre si étroit, avec une extrême complaisance et une extrême satisfaction.

Sim, comme on l’appelait dans la famille du serrurier, ou M. Simon Tappertit, comme il s’appelait lui-même et exigeait que tout le monde l’appelât au dehors, les jours de fête, sans compter les dimanches, était un drôle de corps, d’une figure mince, aux cheveux plats, aux petits yeux, de petite taille, n’ayant pas beaucoup plus de cinq pieds, mais absolument convaincu dans son propre esprit qu’il était au-dessus de la taille moyenne, et plutôt grand qu’autrement. Sa personne, qui était bien faite, quoique des plus maigres, lui inspirait une haute admiration ; et ses jambes, qui, dans sa culotte courte, étaient deux curiosités, deux raretés, au point de vue de leur exiguïté, excitaient en lui l’enthousiasme à un degré voisin de l’extase. Il avait aussi quelques idées majestueusement nuageuses, que n’avaient jamais sondées à fond ses amis les plus intimes, sur la puissance de son œil. On n’ignorait pas qu’il était allé jusqu’à se vanter de pouvoir complétement réduire et subjuguer la plus fière beauté par un simple procédé qu’il définissait « l’œillade fascinatrice ; » mais il faut ajouter que de cette puissance, pas plus que d’un don homogène qu’il prétendait avoir de vaincre et dompter les animaux, même enragés, il n’avait jamais fourni de preuve qu’on pût estimer tout à fait satisfaisante et décisive.