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BARNABÉ RUDGE

retournant pour parler à Barnabé, dont la pâle figure brillait d’une lueur étrange qui n’était point celle de l’intelligence, le voleur s’est sauvé par là ? Bien, bien, ne vous occupez pas de ça pour l’instant. Tenez ainsi votre torche, un peu plus loin, c’est ça. À présent, restez tranquille pendant que je vais tâcher de voir quelle est sa blessure. »

Cela dit, il s’appliqua à examiner de plus près le corps étendu à terre, tandis que Barnabé, tenant sa torche comme on le lui avait recommandé, regarda en silence, fasciné par l’intérêt ou la curiosité, mais repoussé néanmoins par quelque puissante et secrète horreur qui imprimait à chacun de ses nerfs un mouvement convulsif.

Debout comme il était alors, reculant d’effroi, et cependant à demi penché en avant pour mieux voir, sa figure et toute sa personne étaient en plein dans la vive clarté de la torche et se révélaient aussi distinctement que s’il eût fait grand jour. Il avait environ vingt-trois ans, et, quoique maigre, il était d’une belle taille et solidement bâti. Sa chevelure rouge, très abondante, pendait en désordre autour de sa figure et de ses épaules, donnant à ses regards sans cesse en mouvement une expression qui n’était pas du tout de ce monde, rehaussée par la pâleur de son teint et l’éclat vitreux de ses grands yeux saillants. Quoi qu’on ne pût le voir sans saisissement, sa physionomie était bonne, et il y avait même quelque chose de plaintif dans son visage blême et hagard. Mais l’absence de l’âme est bien plus terrible chez un vivant que chez un mort ; et chez cet être infortuné les facultés les plus nobles faisaient défaut.

Il portait un habillement vert, décoré çà et là assez gauchement, et probablement par ses propres mains, d’un somptueux galon, plus éclatant à l’endroit où l’étoffe était plus usée et plus sale. Une paire de manchettes d’un faux goût pendillaient à ses poignets, tandis que sa gorge était presque nue. Il avait orné son chapeau d’une touffe de plumes de paon ; mais flasques et cassées à présent, elles traînaient négligemment derrière son dos. À sa ceinture brillait la garde d’acier d’une vieille épée sans lame ni fourreau ; quelques bouts de rubans bicolores et de pauvres colifichets de verre complétaient la partie ornementale de son ajustement. La disposition confuse et voltigeante de tous les