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— Mais où sont-ils ? répliqua M. Haredale avec impatience. Où peuvent-ils être ? Ils ne peuvent pas être sous terre.

— Dieu le sait, répondit le serrurier. Il y en a plus d’un, que j’ai connus il y a cinq ans encore, qui sont couchés maintenant sous le gazon. Et le monde est si grand ! C’est une tentative sans espoir, monsieur, croyez-moi. Nous devons laisser la découverte de ce mystère, ainsi que de tous les autres, au temps, au hasard, au bon plaisir du ciel.

— Varden, mon excellent garçon, dit M. Haredale, j’ai, dans mon anxiété présente, une envie démesurée de poursuivre mes recherches. Ce n’est pas un pur caprice ; ce ne sont pas mes anciens souhaits, mes anciens désirs accidentellement réveillés ; c’est un dessein ardent, solennel. Toutes mes pensées, tous mes rêves, tendent à le fixer davantage en mon esprit. Je n’ai de repos ni jour ni nuit ; ni paix ni trêve ; je suis obsédé. »

Il y avait une si grande altération dans l’accent habituel de sa voix, et ses manières dénotaient une émotion si forte, que Gabriel, plein d’étonnement, ne put que rester assis, à le regarder dans l’ombre, pour chercher à deviner l’expression de sa figure.

« Ne me demandez pas d’explication, continua M. Haredale. Si je vous en donnais, vous me croiriez victime de quelque hallucination hideuse. Il suffit que la chose soit telle qu’elle est, et que je ne puisse pas, non, je ne le peux pas, reposer tranquillement dans mon lit, sans faire des choses qui vous paraîtront incompréhensibles.

— Depuis quand, monsieur, dit le serrurier après une pause, avez-vous éprouvé cette pénible sensation ? »

M. Haredale hésita quelques instants, puis il répliqua : « Depuis la nuit de l’orage. Bref, depuis le dix-neuf mars dernier. »

Comme s’il eût craint que Varden n’exprimât de la surprise, ou qu’il ne voulût discuter avec lui, il se hâta de poursuivre :

« Vous pensez, je le sais, que je suis en proie à quelque illusion. Peut-être le suis-je. Mais elle n’a rien de morbide en tous cas ; c’est un acte de mon esprit dans son état le plus sain, et raisonnant sur des faits très réels. Vous vous rappelez que Mme Rudge a laissé son mobilier dans la maison qu’elle