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souhaitait qu’une chose, c’était qu’il en fût plus heureux : car elle ne lui voulait que du bien, et ne demandait pas mieux qu’il trouvât quelqu’un qui pût convenir à son caractère. Ce serait une dure épreuve, continua-t-elle, de se séparer d’une si bonne maîtresse ; mais elle était capable d’accepter n’importe quelle souffrance quand sa conscience lui disait qu’elle était dans le droit chemin, et c’était là ce qui lui donnait le courage de se résigner à son sort. Elle ne pensait pas, ajouta-t-elle, qu’elle survécût longtemps à ces séparations ; mais puisqu’on la haïssait et qu’on ne la voyait qu’avec déplaisir, peut-être sa mort, et aussi prompte que possible, était-elle ce qu’il y avait de mieux à souhaiter pour tout le monde. Arrivée à cette navrante conclusion, Mlle Miggs répandit encore des larmes, et sanglota comme une Madeleine.

« Pouvez-vous supporter cela, Varden ? dit sa femme d’une voix solennelle, en posant son couteau et sa fourchette.

— Ma foi ! pas trop bien, ma chère, répliqua le serrurier ; mais je fais tout ce que je peux pour garder mon sang-froid.

— Qu’il n’y ait pas de mots à mon sujet, mame, soupira Miggs. Mieux vaut que nous nous séparions. Je ne voudrais pas rester… oh ! miséricorde divine ! … et causer des divisions. Non, pas même pour une mine d’or par an, ou pour une rente de thé sucré. »

De crainte que le lecteur ne soit en peine de découvrir le motif de la profonde émotion de Mlle Miggs, nous pouvons en aparté lui confier tout bas que, comme elle était toujours aux écoutes, elle avait entendu, au moment où Gabriel et sa femme conversaient ensemble, la plaisanterie du serrurier relative à ce négrillon qui jouait du tambour de basque ; elle n’avait pu retenir l’explosion des sentiments de dépit que ce sarcasme avait éveillés dans son beau sein, et voilà ce qui l’avait fait éclater comme nous venons de voir. Les choses étant arrivées alors à une crise, le serrurier, selon sa coutume, par amour pour la paix et la tranquillité, commença à mettre les pouces.

« Qu’avez-vous à pleurer, ma fille ? dit-il. De quoi s’agit-il ? qui est-ce qui vous dit qu’on vous hait ? moi ! je ne vous hais pas ; je ne hais personne. Séchez vos yeux, devenez de meilleure humeur, au nom du ciel, et ne nous rendons pas